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Homo sovieticus, homo americanus ? Catholica Hiver 2007-08, Nr. 98

Tomislav Sunic, essayiste croate et traducteur, ayant longuement séjourné aux Etats-Unis où il a enseigné la science politique, vit actuellement dans son pays d'origine. Il a récemment publié un ouvrage intitulé Homo Americanus : Child of the Postmodern Age (BookSurge, Charleston 2007, 15.99 $), avec une préface de l'historien Kevin MacDonald. L'auteur a accepté de s'expliquer sur le parallèle suggéré par son titre, de prime abord audacieux, avec l'homo sovieticus de Zinoviev.

CATHOLICA - Vous effectuez une longue comparaison entre le système soviétique et le système américain, et entre les types humains qui les caractérisent. Dans la description de la culture sociale américaine, vous notez une sorte de phobie de l'autorité, sous l'effet de l'égalitarisme. Peut-on vraiment établir un parallèle avec le communisme?

TOMISLAV SUNIC - Un mot tout d'abord au sujet du titre de mon livre. J'ai d'abord été tenté par l'expression boobus americanus, inventée par le grand écrivain américain, H. L Mencken. Mais le boobus a une connotation limitée, restreinte au cadre provincial des Etats Unis; cette expression décrit plutôt un Américain un peu bête et d'esprit provincial (on dirait en France un plouc) ne reflétant guère le système-monde comme le font si bien les expressions homo sovieticus et homo americanus.

A propos de l'autorité, de laquelle parle-t-on? On n'a pas forcément besoin de la police et de l'armée pour imposer son autorité. En dehors des grandes métropoles américaines et en dehors de quelques cercles clos qui partagent les mêmes intérêts intellectuels, l'Amérique est un pays très autoritaire au sens large du terme. C'est la fameuse autocensure américaine relevant de l'esprit calviniste et vétérotestamentaire qui rend la vie difficile dans les petites villes américaines pour un intellectuel européen. Rien à voir avec le vrai individualisme civique et spirituel dont, malgré l'américanisation outrancière, on perçoit encore les signes en Europe. Le prétendu individualisme américain est une contradiction en soi ; partout règne l'esprit grégaire qui se manifeste, bien sûr, en fonction de la tribu, du lobby politique, ou de la chapelle religieuse à laquelle on appartient. Tocqueville en parle dans son livre, De la démocratie en Amérique. Or le problème inquiétant, c'est que les Américains se perçoivent et se posent devant le monde entier comme des individualistes et des libertaires modèles alors qu'en réalité, tout véritable individualisme est incompatible avec l'esprit de l'homo americanus. A l'instar de l'Union Soviétique, la réussite professionnelle en Amérique exige qu'on "joue le jeu" et qu'on ne "fasse pas de vagues." Cette fausse convivialité Âœcuménique est surtout visible aujourd'hui dans l'Amérique multiculturelle où il faut être extrêmement prudent dans le choix des mots. Même le terme "multiculturalisme" que l'on utilise abondamment en Occident est un tic de la langue de bois américaine dont la naissance remonte aux années 1970. Multiethnisme conviendrait mieux pour décrire la situation atomisée du système américain... et occidental.

Quant au système ex-soviétique et à sa prétendue structure pyramidale et hiérarchique il nous faut nous débarrasser des demies vérités relayées par les ex-soviétologues et autres kremlinologues occidentaux. Le système communiste fut parfaitement démocratique au vrai sens du terme. Une fois terminés les grands massacres et achevée l'élimination des élites russes et est- européennes dans les années 1950, de larges masses purent jouir, en Russie comme en Europe orientale, et dans le moule communiste, d'une qualité de vie dont on ne pouvait que rêver en Occident. La vie sans soucis, quoique spartiate, assurait à tous une paresse facile --- pourvu qu'on ne touchât pas au mythe fondateur communiste. Alexandre Zinoviev fut l'un des rares écrivains à bien saisir l'attraction phénoménale et la pérennité de l'homo sovieticus". En fait, si le communisme a disparu à l'Est, comme l'a dit Del Noce, c'est parce qu'il s'est encore mieux réalisé à l'Ouest, notamment en Amérique multiethnique et égalitaire.

Dans votre livre, vous procédez à l'analyse du décor et de l'envers du décor, si je puis m'exprimer ainsi. Par exemple, vous relevez que les grands médias, dans l'image qu'ils cultivent sans cesse d'eux-mêmes, se présentent comme des contestataires du pouvoir, alors qu'en réalité ils en constituent l'un des principaux piliers. Vous vous intéressez ainsi non seulement aux représentations conceptualisées, mais également au langage et à sa transformation. Pouvez-vous dire ce qui a attiré votre attention sur ces points, et en particulier quelle fonction vous attribuez à la «gestion de la langue»?

En Amérique, les grands médias ne constituent aucunement un contre-pouvoir. Ils sont le pouvoir eux-mêmes et ce sont eux qui façonnent le cadre et le dénouement de tout événement politique. Les politiciens américains sondent au préalable le pouls des medias avant de prendre une décision quelle qu'elle soit. Il s'agit d'une synthèse politico- médiatique qui règne partout en Occident. Quant au langage officiel utilisé par les faiseurs de l'opinion américaine tout discours politico- médiatique est censé recourir aux phrases au conditionnel ; les politiciens et les medias, et même les professeurs d'université, abordent toujours les thèmes politiques avec une grande circonspection. Ils recourent de plus en plus à des locutions interrogatives telles que "pourrait- t-on dire? " ou "le gouvernement serait-il capable de"..?", etc. Ici, nous voyons à nouveau l'auto-abnégation chère au calvinisme mais transposée cette fois dans le langage châtré de la communication officielle. Les phrase lourdes, à connotation négative, où on exprime un jugement de valeur, disons sur Israël, l'Iraq, ou un autre problème politique grave, sont rares et prudemment feutrées par l'usage d'adjectifs neutres.

Cette "langue de coton", de provenance américaine, on la voit se propager de plus en plus en France et en Allemagne. On est témoin de locutions américaines très en vogue et "soft" en Europe qui disent tout et rien à la fois : je pense notamment aux adverbes neutres de provenance américaine tels que "considerably", "apparently" etc. - dont l'usage fréquent permet à tout homme public d'assurer ses arrières.

Pouvez-vous, en tant que vous-même avez été professeur dans une université américaine bien représentative, indiquer quelle couche de l'intelligentsia possède un pouvoir réel, et de quelle manière concrète elle l'exerce au quotidien, en particulier dans le contrôle du langage, et pour quelle raison il en va ainsi?

Contrairement à ce qu'on dit en Europe, les universités américaines, surtout les départements de sciences sociales, jouent un rôle fort important dans la fabrication de l'opinion publique. On lit régulièrement dans la grande presse américaine les "editorials" écrits par des professeurs connus. Quoique l'Amérique se targue de son Premier Amendement, et notamment de sa totale liberté d'expression, les règlements universitaires témoignent d'une véritable police de la pensée. La haute éducation est une chasse gardée des anciens gauchistes et trotskistes recyclés, où toute recherche indépendante allant à l'encontre des mythes égalitaires et multiethnique peut aboutir à de sérieux ennuis (jusques et y compris le licenciement) pour les esprits libres. Nombreux sont les cas où de grands spécialistes en histoire contemporaine ou en anthropologie doivent comparaître devant des "Comités de formation à la sensibilité interethnique universitaires" ("Committees for ethnic sensitivity training") pour se disculper d'accusations de "fascisme" et de "racisme." Malgré la prétendue fin de tous les grands récits, il y a, dans notre postmodernité, un champ de thèmes tabous où il vaut mieux ne pas se hasarder. Très en vogue depuis dix ans, l'expression "hate speech" (discours de haine) n'est que le dernier barbarisme lexical américain grâce auquel on cherche à faire taire les mal-pensants. Le vrai problème commence quand cette expression s'introduit dans le langage juridique du code pénal, comme ce fut le cas récemment avec une proposition législative du Sénat américain (HR 1955). Je ne vois aucune différence entre le lexique inquisitorial américain et celui de l'ex-Yougoslavie ou de l'ex-Union soviétique, sauf que le langage de l'homo americanus est plus insidieux parce que plus difficile à déchiffrer.

A propos du pouvoir (au sens générique), le système américain d'aujourd'hui est-il, ou n'est-il pas le prototype, ou l'aile avancée de la «démocratie» postmoderne, dans laquelle tout le monde est censé contribuer à la «gouvernance» globale sans que personne soit réellement identifiable comme responsable des décisions qu'il prend?

Voilà la mystique démocratique qui sert toujours d'appât pour les masses déracinées ! Dans le système collectiviste de l'ex-Union soviétique, et aujourd'hui de façon similaire en Amérique, on vivait dans l'irresponsabilité collective. Rien d'étrange. L'irresponsabilité civique n'est que la conséquence logique de l'égalitarisme parce que selon les dogmes égalitaires libéralo-communistes, tout homme est censé avoir sa part du gâteau. A l'époque de la Yougoslavie communiste, tout le monde jouait le double jeu de la chapardise et de la débrouillardise, d'une part, et du mimétisme avec le brave homo sovieticus, d'autre part, du fait même que toute propriété et tout discours appartenaient à un État-monstre. Par conséquent, tout le monde, y compris les apparatchiks communistes, se moquait de cet État-monstre dont chacun, à son niveau social, cherchait à tirer un maximum d'avantages matériels.

Le vocable gouvernance n'est qu'un piège supplémentaire du langage technoscientifique tellement cher à l'homo americanus. D'une manière inédite, les classes qui nous gouvernent, en recourant à ce nouveau vocable, conviennent qu'il en est fini de cette ère libéralo-parlementaire, et que c'est aux "experts" anonymes de nous tirer hors du chaos.

On a largement étudié les Etats-Unis comme nouvelle forme d'empire, une forme appelée à périr à force d'étendre ses conquêtes au-delà de ses capacités, selon une sorte de loi inexorable d'autodestruction. Mais au-delà de cette perspective - que l'on supposera ici fondée, par hypothèse - ne peut-on pas voir dans l'américanisme postmoderne la fin de la modernité, fin à la fois comme achèvement et comme épuisement?

Le paradoxe de l'américanisme et de son pendant l'homo americanus consiste dans le fait qu'il peut fonctionner à merveille ailleurs dans le monde et même mieux que dans sa patrie d'origine. Même si un de ces jours, l'Amérique en tant qu'entité politique se désagrège (ce qui n'est pas du tout exclu) et même si l'Amérique disparaît de la mappemonde, l'homo americanus aura certainement encore de beaux jours devant lui dans différentes contrées du monde. Nous pouvons tracer un parallèle avec l'esprit de l'homo sovieticus, qui malgré la fin de son système d'origine est bel et bien vivant quoique sous une forme différente. Oublions les signifiants - regardons plutôt les signifiés postmodernes. À titre d'exemple, prenons le cas des nouvelles classes politiques en Europe orientale y compris en Croatie, où quasiment tout l'appareil étatique et soi- disant non communiste se compose d'anciens fonctionnaires communistes suivis par des masses anciennement communisées. L'héritage communiste n'empêche pas les Croates d'adopter aujourd'hui un américanisme à outrance et de se montrer aux yeux des diplomates des Etats-Unis plus américanisés que les Américains eux-mêmes! Il y a certes une généalogie commune entre le communisme et l'américanisme, notamment leur esprit égalitaire et leur histoire linéaire. Mais il y a également chez les ex-communistes croates, lituaniens ou hongrois, un complexe d'infériorité conjugué à une évidente servilité philo- américaine dont le but est de plaire aux politiciens américains. Après tout, il leur faut se disculper de leur passé douteux, voire même criminel et génocidaire. Il n'y a pas si longtemps que les ex-communistes croates faisaient encore leurs pèlerinages obligatoires à Belgrade et à Moscou ; aujourd'hui, leurs nouveaux lieux saints sont Washington et Tel Aviv. Malgré l'usure de l'expérience américaine aux USA, l'Amérique peut toujours compter sur la soumission totale des classes dirigeantes dans tous les pays est-européens.

L'anti-américanisme de beaucoup de marxistes européens s'est fréquemment mué depuis plusieurs décennies en admiration pour la société américaine. Au-delà du retournement opportuniste, ne croyez-vous pas qu'il puisse s'agir d'une adhésion intellectuelle, de quelque chose comme l'intuition que l'Amérique postmoderne représente une certaine incarnation de l'utopie socialiste, alors même que le capitalisme y domine de manière criante?

Après l'effondrement de son repoussoir dialectique qu'était l'Union soviétique, il était logique que beaucoup d'anciens marxistes européens et américains se convertissent à l'américanisme. Regardons l'entourage néo- conservateur du président George W. Bush ou de la candidate présidentielle Hillary Clinton: il se compose essentiellement d'anciens trotskistes et d'anciens sympathisants titistes dont le but principal est de parachever le grand rêve soviétique, à savoir l'amélioration du monde et la fin de l'histoire. Il n'y a aucune surprise à voir le Double devenir le Même ! L'ancien rêve calviniste de créer une Jérusalem nouvelle, projetée aux quatre coins de monde, se conjugue avec les nouvelles démarches mondialistes de nature mercantiles. Or au moins pour un esprit critique, il y a aujourd'hui un avantage épistémologique ; il est plus facile de s'apercevoir maintenant des profondes failles du système américain. L'anticommunisme primaire de l'époque de la guerre froide qui donnait une légitimité à l'Amérique par à rapport à son Autre n'est plus de mise. On ne peut plus cacher, même aux masses américaines incultes, que le système américain est fragile et qu'il risque d'éclater à tout moment. N'oublions jamais la fin soudaine du système soviétique qu'on croyait invincible. Le capitalisme sauvage et la pauvreté grandissante en Amérique ne vont pas de pair avec le prêchi-prêcha sur les droits de l'homme et les matins qui chantent.

Il se dégage de l'ensemble de votre ouvrage, dont le titre pourrait être traduit L'homo americanus, ce rejeton de l'ère postmoderne, que les phénomènes que vous décrivez conduisent à produire en masse un type d'humanité dégradé, sans repères, sans racines, sans idéal. Dans la mesure où ce diagnostic est fondé (même s'il ne concerne pas également la totalité des Américains), n'est-ce pas la preuve de l'échec, non seulement du projet de régénération qui était à l'origine des Etats-Unis, mais de l'humanisme tout entier, tel qu'il a été affirmé au début de la période moderne?

Soyons honnêtes. Nous sommes tous plus ou moins des homini americani. L'américanisme, à l'instar du communisme, est parfaitement compatible avec l'état de nature cher aux plus bas instincts de tout homme. Mais donner dans un anti-américanisme primaire, comme celui que revendique l'extrême droite européenne et surtout française, ne repose pas sur une bonne analyse du système américain. En Amérique, surtout chez les Sudistes, il y a des couches populaires, quoique très rares, qui préservent le concept d'honneur largement perdu en Europe.

On a tort de nourrir des fantasmes au sujet des prétendues visées impérialistes des Américains sur l'Europe et l'Eurasie, comme c'est le cas chez de nombreux droitiers européens victimes de leur propre manie du complot. À part son délire biblique et son surmoi eschatologique incarné dans l'État d'Israël - qui représentent tous deux un danger pour la paix mondiale - l'engagement américain en Europe et ailleurs n'est que le résultat du vide géopolitique causé par les incessantes guerres civiles européennes. Il est fort possible que la guerre balkanique ait eu un bel avenir sanguinaire sans l'intervention militaire des Américains. Qu'ont-ils donc à offrir, les fameux communautarismes européens, hormis les fantasmes sur un empire européen et euroasiatique ? Au moins, les Américains de souche européenne ont réussi à se débarrasser des querelles de chapelles identitaires qui font toujours le bagage des peuples européens.

Le sens prométhéen, l'esprit d'entreprise et le goût du risque sont toujours plus forts en Amérique qu'en Europe. L'Amérique pourrait offrir, dans un proche avenir, encore de belles surprises à la civilisation européenne.

Entretien recueilli par Bernard Dumont

La grande peur en Europe orientale Ecrits de Paris (Février, 2003) Nr. 651 par

Le proverbe croate qui affirme que "l'aube de l’un apporte toujours le crépuscule à l'autre", demeure actuel, surtout à l'occassion des anniversaires historiques et des commémorations politiques. Le chiffre "7" de l'Ancien Testement possède une valeur symoblique, tandis que le nombre "13" inspire angoisse, même aux incroyants. La grande fête millénaire de l'an 2000, commença différemment pour les protestants et les catholiques, différemment pour les chrétiens ortodhoxes, alors que les musulmans semblent être toujours coincés au XVème siècle et mesurent leur temps d'après l'Hégire.

Face au nouveau millénaire, certains membres de sectes bizarres qui pollulent dorénevant à l’avant-scène de l’Europe orientele rêvent également de tout un outillage astrologique et météorologique pour prédire de nouvelles catastrophes politiques. Avides de deviner l'avenir, tels les adeptes de l'équivoque "New Age" ils inspectent même les entrailles des oies sauvages, à l'instar des anciens augures de Rome. Inutile de dire que aucun journal sérieux en Europe de l’Est ne peut se priver du luxe d'inclure dans ses pages des horoscopes pleins de phantasmes sexuels, débordant de fantaisies sur les lendemains qui chantent. La mentalité millénariste se propage rapidement en Europe post-communiste. D’autant plus qu’elle a vu défiler au cours de ces dix dernières années une cohorte de politiciens éphémères dont les pronostics sur la théologie du libre marché se sont révélés désastreux. D'ailleurs, quel "expert" onusien, quel augure bruxellois aurait-il pu prédire la chute du Mur de Berlin et la désintégration du communisme ? De tous les adventistes politiques, il ne reste plus grand chose en Europe de l'Est, hormis quelques témoins de Jéhovah venus de l’Occident et qui prêchent la fin du monde.

A la veille de l'anno domini 1000, les Européens étaient convaincus que le Jugement dernier s'approchait à toute vitesse et que le Royaume de Dieu n'allait plus tarder à s'ouvrir aux élus du monde. Le paradis divin ne s'étant pas matérialisé, beaucoup d’entre eux, pleins d'enthousisme religieux, décidèrent, suite aux appels du Pape Urbain II, de partir en croisade vers la Terre Sainte de Palestine. Tout au long de leur chemin, les pèlerins et les croisés, ne s'en prirent pas seulement aux inifidèles musulmans, ils déversèrent également leur colère sur les chrétiens orthodoxes de Constantinople, et, au passage, sur le ville catholique croate de Zadar. Mille ans plus tard, les nouveux élus sont les Américains qui se croient appelés à mener la guerre perpétuelle pour établir la démocratie universelle. Affamés de rapides rédemptions économiques, leurs serviteurs de l’Europe orientale acceptent sans broncher tout oukase venu d’outre-Atlantique.

L’Europe orientale subit deux maux : d’une part le tragique héritage du mental communiste, d’autre part la grotesque imitation de la sphère occidentale. Quoique l'argent soit devenu tout puissant, le fait d'etre vu « en democrate » sur tous les écrans de télévison renforce la carrière politique. Donc, point de différence entre l’Occident et l’Europe de l’Est. La seule divergence consiste dans le fait que les Européens de l’Est absorbent essentiellement le pire de l’Occident : décadence et anomie.

Il y longtemps, Machiavel remarquait que le prince préfère perdre sa vie que sa résidence secondaire. Or pour un politicien de l’Est converti du communisme au libéralisme, tomber en disgrâce médiatique provoque une douleur autrement plus vive.

Parfois la guerre possède une valeur pédagogique et éducative. On l’occurence ce fut le cas dans les Balkans. Si derrière les cris de guerre, on rencontre un but précis, un idéal fanatique, théologique ou idéologique, alors tout sacrifice humain paraît supportable, disait Emile Cioran. En 1991 tous les Croates aimaient la Croatie indépendante : aujourd’hui ils en sont excédés et ne savent plus quoi faire avec. En 1941 Staline eut recours au nationalisme panslave pour écarter de Russie la menace allemande. Pendant la guerre récente les Croates agissaient à l’unisson ; à l'heure actuelle, ils s'effritent en douzaines de sectes morbides se battant l’une contre l’autre par manque de vision politique et servile imitation de la langue de bois occidentaliste. Dans les Balkans, on ne peut pas envisager de carrière politique, sans etre prêt, au préalable, à éliminer ses anciens compagnons de route.

Certes, le style a changé mais le fond reste le même. Au milieu du XIVème siecle l'Europe était frappée par la pesta bubonica - qui dévora presque une moitié de sa population et fut vite interprétée comme un signe supplémentaire de la colère divine. Durant la Guerre de Trente Ans, plus de cinq millions d'Allemands trouvèrent la mort, mais en dépit de pronostics apocalyptiques, le Traité de Westphalie, en 1648, apporta un semblent de paix et de stabilité. A la veille de leur campagne militaire contre l'Europe centrale, en 1683, les Turcs chantaient des chansons orientales, accompagnés par les derviches tourneurs. Non seulement ils rêvaient aux splendeurs du riche Occident, mais se croyaient appelés à amener les hors-la-loi catholiques dans les rangs de la confession abrahamique. Suite à leur désastre devant les murs viennois, tous les clochers de toutes les églises d'Europe se mirent à sonner. La même chose s'était déjà produite beaucoup plus tôt, en 1492, lorsque Isabelle Ière, avait chassé Juifs, Maures et Mozabites de l'autre extrémité de l'Europe. Le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres...

Le laps de temps, le cadre de la durée historique, la localisation géographique conduisent les peuples à concevoire différemment la justice et le crime, le bien et le mal. Pour les citoyens de Budapest les mois de novembre et de décembre 1944 furent la répétition de Stalingrad quoique en direction inverse et selon l’itinéraire communiste. Durant la terreur soviétique, plus de 150 000 Hongrois et Alemands trouvèrent la mort. Plus loin, au Nord-Ouest, les Allemands connurent en 1945 une forme tardive de walhalla, tandis que les vainqueurs inauguraient Le Nouvel Age planétaire par des effusions holywoodiennes et force goulags supplémentaires. Reste l'étérnelle question : que se serait-il passé si l'autre parti l'avait emporté ? Le problème est un peu le même aujourd’hui avec l'héritage des Lumières et son dernier avatar, le libéralisme qui semble être également obsédé par l'histoire linéaire et les avenirs qui chantent. A l’instar du communisme, le libéralisme affirme lui aussi que le passé doit être enterré pour de bon. En réalité, comme le siècle précédent en a témoigné, les fantaisies millénaristes ont toujours des résultats opposés. Et qui aurait pu prédire que l'expérience communiste laisserait un ossuaire de plus de cent millions de cadavres ?

Certes, les ex-communistes en Europe orientale possèdent une incroyable plasticité pour tous les recyclages, globalistes, ou néo-libéraux. Si les citoyens de l'Europe de l'Est, avaient su ce que l'avenir post-communiste et néo-capitaliste leur apporterait, ils se seraient vraisemblablement comportés différemment lors des premières élections parlementaires, au début des années 1990. Tout parti d'oppostion aime bien faire de grandes promesses - une fois au pouvoir il doit changer sa partition.

Face à la marée de la nouvelle partitocratie occidentalophile, l'Europe de l'Est ressemble au légendarie âne de Buridan. L'âne crève de faim et de soif, parce qu'il est incapable de décider s'il faut d'abord aller à la meule de foin, où bien au ruisseau voisin pour se désaltérer. Les grandes attentes politiques de l’Europe orientale relèvent du mental utopiste, donc totalitaire.

Mais la dure réalité perdure, et plus les choses changent, plus elles empirent.

TOMISLAV SUNIC
(écrivain croate)

Le langage « politiquement correct » Genèse d'un emprisonnement Catholica (Été 2006) Nr. 92

Nous avons rencontré lors de son dernier séjour en France M. Tomislav Sunic, diplomate croate mais aussi écrivain, traducteur et ancien professeur de sciences politiques aux Etats-Unis. Fortement impressionné par le fait que la liberté d'expression se trouve paradoxalement plus grande dans les pays anciennement sous domination soviétique qu'à l'Ouest du continent, il nous a proposé le texte qui suit, qui met l'accent sur une des données généralement sous-estimée du conformisme régnant, à côté de l'héritage communiste et de la mentalité de « surveillance » héritée des riches heures du jacobinisme. Ce texte a été rédigé par l'auteur directement en français.


Par «politiquement correct » on entend l'euphémisme actuellement le plus passe-partout derrière lequel se cache la censure et l'autocensure intellectuelle. Si le vocable lui-même n'émerge que dans l'Amérique des années 1980, les racines moralisatrices de ce phénomène à la fois linguistique et politique sont à situer dans la Nouvelle Angleterre puritaine du XVIIe siècle. Cette expression polysémique constitue donc la version moderne du langage puritain, avec son enrobage vétérotestamentaire. Bien qu'elle ne figure pas dans le langage juridique des pays occidentaux, sa portée réelle dans le monde politique et médiatique actuel est considérable. De prime abord, l'étymologie des termes qui la forment ne suggère nullement la menace d'une répression judicaire oud les ennuis académiques. L'expression est plutôt censée porter sur le respect de certains lieux communs postmodernes tels que le multiculturalisme ou une certaine historiographie, considérés comme impératifs dans la communication intellectuelle d'aujourd'hui. En règle générale, et dans la langue française, prononcer l'expression "politiquement correct" déclenche souvent le processus d'association cognitive et fait penser aux expressions tels que "la police de la pensée," "la langue de bois" et "la pensée unique". Or si ces dernières notions ont ailleurs qu'en France, en Europe comme en Amérique, des équivalents, ceux- ci n'y possèdent pas sur le plan lexical la même porte émotive. Ainsi par exemple, lorsque les Allemands veulent designer le langage communiste, ils parlent de "Betonsprache" ("langue de béton"), mais la connotation censoriale de la locution française "langue de bois" n'y est pas rendue. Quant à la "pensée unique," elle reste sans équivalant hors du français, étant intraduisible en anglais ou en allemand ; seule le vocable slave "jednoumlje" - terme en vogue chez les journalistes et écrivains russes, croates ou chèques - possède la même signification.1

En comparaison de l'Europe, les Etats-Unis, bien qu'étant un pays fort sécularisé, restent néanmoins très marqués par de « grands récits » moralistes issus de la Bible ; aucun autre pays sur terre n'a connu un tel degré d'hypermoralisme parabiblique, dans lequel Arnold Gehlen voit « une nouvelle religion humanitaire ».2 Cependant après la deuxième guerre mondiale, le langage puritain a subi une mutation profonde au contact du langage marxiste en usage en Europe, véhiculé par les intellectuels de l'Ecole de Francfort, ou inspirés par eux, réfugiés aux Etats-Unis et plus tard installés dans les grandes écoles et universités occidentales. Ce sont eux qui après la guerre ont commencé à agir dans les médias et dans l'éducation en Europe, et qui ont joué un rôle décisif dans l'établissement de la pensée unique. C'est donc de la conjonction entre l'hypermoralisme américain et les idées freudo-marxistes issues de ce milieu qu'est né le phénomène actuel du politiquement correct.

On sait que les Etats-Unis n'ont jamais eu comme seule raison la conquête militaire, mais ont cultivé le désir d'apporter aux mal-pensants, qu'ils fussent indiens, nazis, communistes, et aujourd'hui islamistes, l'heureux message du démocratisme à la mode américaine, même avec l'accompagnement du bombardement massif des populations civiles. Cet objectif s'est largement réalisé vers la fin de la deuxième guerre mondiale, quand l'Amérique, comme principale grande puissance, s'installa dans son rôle de rééducatrice de la vieille Europe. Et dans les années ultérieures, le lexique américain, dans sa version soft et libéralo-puritaine, jouera même un rôle beaucoup plus fort par le biais des médias occidentaux que la langue de bois utilisée par les communistes est-européens et leurs sympathisants. Au vingtième siècle cependant, l'héritage calviniste a perdu son contenu théologique pour se transformer en un moralisme pur et dur prônant l'évangile libéral des droits de l'homme et le multiculturalisme universel.

Dès la fin des hostilités, un grand nombre d'agents engagés par le gouvernement du président Harry Truman furent donc envoyés en Europe afin de rectifier les esprits, et notamment les tendances autoritaires supposées inhérentes au modèle familial européen. Parmi ces pédagogues figuraient un certain nombre d'intellectuels américains issus de la WASP et imprégnés d'esprit prédicateur, mais aussi des éléments de tendance marxiste dont les activités s'inscrivaient dans le sillage de l'Ecole de Francfort. Pour les uns et les autres, guérir les Allemands, et par extension tous les Européens, de leurs maux totalitaires fut le but principal.3 Tous se croyaient choisis par la providence divine - ou le déterminisme historique marxiste - pour apporter la bonne nouvelle démocratique à une Europe considérée comme une région à demi-sauvage semblable au Wilderness de l'Ouest américain du passé. Le rôle le plus important fut néanmoins joué par l'Ecole de Francfort, dont les deux chefs de file, Theodor Adorno et Max Horkheimer, avaient déjà jeté les bases d'une nouvelle notion de la décence politique. Dans un ouvrage important qu'il dirigea,4 Adorno donnait la typologie des différents caractères autoritaires, et introduisait les nouveaux concepts du langage politique. Il s'attaquait surtout aux faux démocrates et « pseudo conservateurs » et dénonçait leur tendance à cacher leur antisémitisme derrière les paroles démocratiques.5 D'après les rééducateurs américains, « la petite bourgeoisie allemande avait toujours montré son caractère sadomasochiste, marqué par la vénération de l'homme fort, la haine contre le faible, l'étroitesse de cÅ“ur, la mesquinerie, une parcimonie frisant l'avarice (dans les sentiments aussi bien que dans les affaires d'argent) ».6 Dans les décennies qui suivirent, le seul fait d'exprimer un certain scepticisme envers la démocratie parlementaire pourra être assimilé au néonazisme et faire perdre ainsi le droit à la liberté de parole.

Lorsque le gouvernement militaire américain mit en Å“uvre la dénazification,7 il employa une méthode policière de ce genre dans le domaine des lettres et de l'éducation allemande. Mais cette démarche de la part de ses nouveaux pédagogues n'a fait que contribuer à la montée rapide de l'hégémonie culturelle de la gauche marxiste en Europe. Des milliers de livres furent écartés des bibliothèques allemandes ; des milliers d'objets d'art jugés dangereux, s'ils n'avaient pas été détruits au préalable au cours des bombardements alliés, furent envoyés aux Etats-Unis et en Union soviétique. Les principes démocratiques de la liberté de parole ne furent guère appliqués aux Allemands puisqu'ils étaient en somme stigmatisés comme ennemis de classe de la démocratie. Particulièrement dur fut le traitement réservé aux professeurs et aux académiciens. Puisque l'Allemagne national-socialiste avait joui du soutien (bien que souvent momentané) de ces derniers, les autorités américaines de rééducation à peine installées se mirent à sonder les auteurs, les enseignants, les journalistes et les cinéastes afin de connaître leurs orientations politiques. Elles étaient persuadées que les universités et autres lieux de hautes études pourraient toujours se transformer en centres de révoltes. Pour elles, la principale tare des universités pendant le IIIe Reich avait été une spécialisation excessive, creusant un gouffre entre les étudiants comme élite, et le reste de la société allemande. L'éducation universitaire aurait donc transmis la compétence technique tout en négligeant la responsabilité sociale de l'élite vis-à-vis de la société.8 Les autorités américaines firent alors remplir aux intellectuels allemands des questionnaires restés fameux, qui consistaient en des feuilles de papiers contenant plus de cent demandes visant tous les aspects de la vie privée et sondant les tendances autoritaires des suspects. Les questions contenaient souvent des erreurs et leur message ultramoraliste était souvent difficile à comprendre pour des Allemands.9 Peu à peu les mots « nazisme » et « fascisme », subissant un glissement sémantique, se sont métamorphosés en simples synonymes du mal et ont été utilisés à tort et à travers. La « reductio ad hitlerum » est alors devenue un paradigme des sciences sociales et de l'éducation des masses. Tout intellectuel osant s'écarter du conformisme en quelque domaine que ce fût risquait de voir ses chances de promotion étouffées.

C'est donc dans ces conditions que les procédures de l'engineering social et l'apprentissage de l'autocensure sont peu à peu devenues la règle générale dans l'intelligentsia européenne. Bien que le fascisme, au début du troisième millénaire, ne représente plus aucune menace pour les démocraties occidentales, tout examen critique, aussi modeste soit-il, de la vulgate égalitaire, du multiculturalisme et de l'historiographie dominante risque d'être pointé comme « fasciste » ou « xénophobe ». Plus que jamais la diabolisation de l'adversaire intellectuel est la pratique courante du monde des lettres et des médias.

L'Allemagne forme certes un cas à part, dans la mesure où sa perception des Etats-Unis dépend toujours de celle que les Allemands sont obligés d'avoir d'eux-mêmes, comme des enfants auto-flagellants toujours à l'écoute de leurs maîtres d'outre-Atlantique. Jour après jour l'Allemagne doit faire la preuve au monde entier qu'elle accomplit sa tâche démocratique mieux que son précepteur américain. Elle est tenue d'être le disciple servile du maître, étant donné que la « transformation de l'esprit allemand (fut) la tâche principale du régime militaire ».10 Voilà pourquoi, si l'on veut étudier la généalogie du politiquement correct tel que nous le connaissons, on ne peut pas éviter d'étudier le cas de l'Allemagne traumatisée. Et cela d'autant plus qu'en raison de son passé qui ne passe pas, l'Allemagne applique rigoureusement ses lois contre les intellectuels mal-pensants. En outre, l'Allemagne exige de ses fonctionnaires, conformément à l'article 33, paragraphe 5 de sa Loi fondamentale, l'obéissance à la constitution, et non leur loyauté envers le peuple dont ils sont issus.11 Quant aux services de défense de la Constitution (Verfassungschutz), dont la tâche est la surveillance du respect de la Loi fondamentale, ils incluent dans leur mission de veiller à la pureté du langage politiquement correct : « Les agences pour la protection de la constitution sont au fond des services secrets internes dont le nombre s'élève à dix-sept (une au niveau de la fédération et seize autres pour chaque Land fédéral constitutif) et qui sont qualifiées pour détecter l'ennemi intérieur de l'Etat ».12 Puisque toutes les formes d'attachement à la nation sont mal vues en Allemagne en raison de leur caractère jugé potentiellement non-démocratique et néonazi, le seul patriotisme permis aux Allemands est le « patriotisme constitutionnel ».

La nouvelle religion du politiquement correct est peu à peu devenue obligatoire dans toute l'Union européenne, et elle sous-entend la croyance dans l'Etat de droit et dans la « société ouverte ». Sous couvert de tolérance et de respect de la société civile, on pourrait imaginer qu'un jour un individu soit déclaré hérétique du fait, par exemple, d'exprimer des doutes sur la démocratie parlementaire. De plus, en raison de l'afflux des masses d'immigrés non-européens, la loi constitutionnelle est également sujette à des changements sémantiques. Le constitutionnalisme allemand est devenu « une religion civile » dans laquelle « le multiculturalisme est en train de remplacer le peuple allemand par le pays imaginaire de la Loi fondamentale ».13 Par le biais de cette nouvelle religion civique l'Allemagne, comme d'autres pays européens, s'est maintenant transformée en une théocratie séculière.


Sans cette brève excursion dans le climat du combat intellectuel d'après-guerre il est impossible de comprendre la signification actuelle du politiquement correct. La récente promulgation de la nouvelle législation européenne instituant un « crime de haine » est ainsi appelée à se substituer aux législations nationales pour devenir automatiquement la loi unique de tous les Etats de l'Union européenne. Rétrospectivement, cette loi supranationale pourrait être inspirée du code criminel de la défunte Union soviétique ou de celui l'ex-Yougoslavie communiste. Ainsi, le Code criminel yougoslave de 1974 comportait une disposition, dans son article 133, portant sur « la propagande hostile ». Exprimée en typique langue de bois, une telle abstraction sémantique pouvait s'appliquer à tout dissident - qu'il se soit livré à des actes de violence physique contre l'Etat communiste ou qu'il ait simplement proféré une plaisanterie contre le système. D'après le même code, un citoyen croate, par exemple, se déclarant tel en public au lieu de se dire yougoslave pouvait se voir inculper d'« incitation à la haine interethnique », ou bien comme « personne tenant des propos oustachis », ce qui était passible de quatre ans de prison.14 Il faudra attendre 1990 pour que cette loi soit abrogée en Croatie.

A l'heure actuelle le Royaume-Uni témoigne du degré le plus élevé de liberté d'expression en Europe, l'Allemagne du plus bas. Le Parlement britannique a rejeté à plusieurs reprises la proposition de loi sur « le crime de haine », suggérée par divers groupes de pression - ce qui n'empêche pas les juges britanniques d'hésiter à prononcer de lourdes peines contre les résidents d'origine non-européenne par crainte d'être accusés eux-mêmes de cultiver un « préjugé racial ». Ainsi, indépendamment de l'absence de censure légale en Grande-Bretagne, un certain degré d'autocensure existe déjà. Depuis 1994, l'Allemagne, le Canada et l'Australie ont renforcé leur législation contre les mal-pensants. En Allemagne, un néologisme bizarre (Volkshetze : « incitation aux ressentiments populaires »), relevant de l'article 130 du Code pénal, permet d'incriminer tout intellectuel ou journaliste s'écartant de la vulgate officielle. Vu le caractère général de ces dispositions, il devient facile de mettre n'importe quel journaliste ou écrivain en mauvaise posture, d'autant plus qu'en Allemagne il existe une longue tradition légale tendanciellement liberticide d'après laquelle tout ce qui n'est pas explicitement permis est interdit. Quant à la France, elle comporte un arsenal légal analogue, notamment depuis l'entrée en vigueur de la loi Fabius-Gayssot adoptée le 14 juillet 1990 - sur proposition d'un député communiste, mais renforcée à l'initiative du député de droite Pierre Lellouche en décembre 2002. Cette situation se généralise dans l'Union européenne,15 en comparaison de quoi, paradoxalement, les pays postcommunistes connaissent encore un plus grand degré de liberté d'expression, même si en raison de la pression croissante de Bruxelles et de Washington cela est en train de changer.

En Europe communiste, la censure de la pensée avait un gros avantage. La répression intellectuelle y était tellement vulgaire que sa violente transparence donnait à ses victimes l'aura des martyrs. La fameuse langue de bois utilisée par les communiste débordait d'adjectifs haineux au point que tout citoyen pouvait vite se rendre compte da la nature mensongère du communisme. En outre, comme la Guerre froide, vers la fin des années 1940, avait commencé à envenimer les rapports entre l'Est communiste et l'Ouest capitaliste, les élites occidentales se crurent moralement obligées de venir en aide aux dissidents est-européens, et cela moins en raison de leurs vues anticommunistes que pour prouver que le système libéral était plus tolérant que le communisme. Nul n'en sut profiter mieux que les architectes libéraux du langage politiquement correct. En cachant leurs paroles démagogiques derrière les vocables de « démocratie », « tolérance » et « droits de l'homme » ils ont réussi à neutraliser sans aucune trace de sang tout opposant sérieux. Le langage médiatique a été également sujet à des règles hygiéniques imposées par les nouveaux princes de vertus. L'emploi châtré des structures verbales qui se sont propagés à travers toute l'Europe reflète des avatars puritains sécularisés si typiques autrefois des autorités militaires américaines dans l'Allemagne d'après-guerre. De nouveaux signifiants se font incessamment jour pour permettre à la classe dirigeante, ayant peur pour ses sinécures, de cacher ainsi ses propres signifiés privés. A-t-on jamais tant parlé en Amérique et en Europe de tolérance, a-t-on jamais tant prêché la convivialité raciale et l'égalitarisme de tous bords alors que le système entier déborde de toutes formes de violences souterraines et de haines mutuelles? L'idéologie antifasciste doit rester un argument de légitimité pour tout l'Occident. Elle présuppose que même s'il n'y a plus aucun danger fasciste, son simulacre doit toujours être maintenu et brandi devant les masses.

Partout en Europe, depuis la fin de la Guerre froide, l'arène sociale doit fonctionner comme un prolongement du marché libre. L'efficacité économique est vue comme critère unique d'interaction sociale. Par conséquent, les individus qui se montrent critiques au sujet des mythes fondateurs du marché libre ou de l'historiographie officielle sont automatiquement perçus comme ennemis du système. Et à l'instar du communisme, la vérité politique en Occident risque d'être davantage établie par le code pénal que par la discussion académique. De plus, aux yeux de nouveaux inquisiteurs, l'hérétique intellectuel doit être surveillé - non seulement sur la base de ce qu'il dit ou écrit, mais sur celle des personnes qu'il rencontre. La « culpabilité par association » entrave gravement toute carrière, et ruine souvent la vie du diplomate ou du politicien. N'importe quelle idée qui vise à examiner d'une manière critique les bases de l'égalitarisme, de la démocratie et du multiculturalisme, devient suspecte. Même les formes les plus douces de conservatisme sont graduellement poussées dans la catégorie « de l'extrémisme de droite ». Et ce qualificatif est assez fort pour fermer la bouche même aux intellectuels qui font partie du système et qui ont eux-mêmes participé dans la passé à la police de la pensée. « Il y a une forme de political correctness typiquement européenne qui consiste à voir des fascistes partout » écrit ainsi Alain Finkielkraut.16 Le spectre d'un scénario catastrophique doit faire taire toutes les voix divergentes. Si le « fascisme » est décrété légalement comme le mal absolu, toutes les aberrations du libéralisme sont automatiquement regardées comme un moindre mal. Le système libéral moderne de provenance américaine est censé fonctionner à perpétuité, comme une perpetuum mobile.17

L'Occident dans son ensemble, et paradoxalement l'Amérique elle-même, sont devenus des victimes de leur culpabilité collective, qui a comme origine non tant le terrorisme intellectuel que l'autocensure individuelle. Les anciens sympathisants communistes et les intellectuels marxistes continuent à exercer l'hégémonie culturelle dans les réseaux de fabrication de l'opinion publique. Certes, ils ont abandonné l'essentiel de la scolastique freudo–marxiste, mais le multiculturalisme et le globalisme servent maintenant d'ersatz à leurs idées d'antan. La seule différence avec la veille est que le système libéralo-américain est beaucoup plus opérationnel puisqu'il ne détruit pas le corps, mais capture l'âme et cela d'une façon beaucoup plus efficace que le communisme. Tandis que le citoyen américain ou européen moyen doit supporter quotidiennement un déluge de slogans sur l'antiracisme et le multiculturalisme, qui ont acquis des proportions quasi-religieuses en Europe, les anciens intellectuels de tendance philo-communiste jadis adonnés au maoïsme, trotskisme, titisme, restent toujours bien ancrés dans les médias, l'éducation et la politique. L'Amérique et l'Europe s'y distinguent à peine. Elles fonctionnent d'une manière symbiotique et mimétique, chacune essayant de montrer à l'autre qu'elle n'accuse aucun retard dans la mise en place de la rhétorique et de la praxis politiquement correctes. Autre ironie de l'histoire : pendant que l'Europe et l'Amérique s'éloignent chronologiquement de l'époque du fascisme et du national-socialisme, leur discours public évolue de plus en plus vers une thématique antifasciste.

Contrairement à la croyance répandue, le politiquement correct, en tant que base idéologique d'une terreur d'Etat, n'est pas seulement une arme aux mains d'une poignée de gangsters, comme nous l'avons vu en ex-Union Soviétique. La peur civile, la paresse intellectuelle créent un climat idéal pour la perte de liberté. Sous l'influence conjuguée du puritanisme américain et du multiculturalisme de tendance postmarxiste européen, le politiquement correct est devenu une croyance universelle. L'apathie sociale croissante et l'autocensure galopante ne nous annoncent pas de nouveaux lendemains qui chantent.

TOMISLAV SUNIC

Catholica


  1. Force est de constater que les Européens de l'Est semblent avoir fort bien appris à désigner les pièges de l'homo sovieticus. Voir James Gregor, Metascience and Politics: An Inquiry into the Conceptual Language of Political Science (New Brunswick: Transaction Publishers, 2004), pp. 282- 292, où se trouvent décrites les "locutions normatives" du langage proto-totalitaire 

  2. Arnold Gehlen, Moral und Hypermoral (Vittorio Klostermann GmbH, Francfort 2004, p. 78). 

  3. Cf. Paul Gottfried, The Strange Death of Marxism, University of Missouri Press, Columbia-Londres, 2005, p. 108. Voir également Frances Stonor Saunders, Qui mène la danse? La CIA et la guerre froide culturelle, Denoël 2003. 

  4. Theodor Adorno (with Else Frenkel-Brunswick, Daniel J. Levinson, R. N. Sanford), The Authoritarian Personality (Harper and Brothers, New York 1950, pp. 780-820). 

  5. Le langage déconstructiviste promu par l'École de Francfort a récemment été critiqué par Kevin McDonald qui observe dans les analyses d'Adorno une diffamation de la culture européenne, tout « ethnocentrisme européen étant interprété comme un signe de pathologie ». Kevin MacDonald, The Culture of Critique: An Evolutionary Analysis of Jewish Involvement in Twentieth Century Intellectual and Political Movement (Praeger Publications, Westport CT, 1998, repris par Authorhouse, Bloomington 2002, p. 193). 

  6. Caspar Schrenck-Notzing, Characterwäsche (Seewald Verlag, Stuttgart 1965, p. 120). 

  7. La dénazification (Entnazifizierung) avait été expressément décidée lors de la conférence de Yalta (février 1945). Elle fut menée selon un critère de classe en zone soviétique, rapidement confiée aux soins de juges allemands en zones française et britannique, mais directement exercée par des agents américains dans la zone relevant de leur responsabilité, de manière tellement étendue qu'elle finit par s'étouffer elle-même. 

  8. Manfred Heinemann, Ulrich Schneider, Hochschuloffiziere und Wiederaufbau des Hochschulwesens in Westdeutschland,1945 – 1952 (Bildung und Wissenschaft, Bonn 1990), pp. 2-3 and passim. Voir Die Entnazifizierung in Baden 1945-1949 (W. Kohlhammer Verlag, Stuttgart 1991) concernant les épurations des enseignants allemands par les autorités françaises dans la région allemande de Baden. Entre 35 % et 50 % des enseignants dans la partie de l'Allemagne contrôlée par les Américains ont été suspendus d'enseignement. Le pourcentage des enseignants épurés par les autorités françaises s'élevait à 12-15 %. Voir Hermann–Josef Rupieper, Die Wurzeln der westdeutschen Nachkriegesdemokratie (Westdeutscher Verlag, 1992), p. 137. 

  9. Le romancier et ancien militant national-révolutionnaire Ernst von Salomon décrit cela dans son roman satirique Der Fragebogen, et montre comment les « nouveaux pédagogues » américains arrachaient parfois des confessions à leurs prisonniers avant de les bannir ou même de les expédier à l'échafaud. 

  10. Caspar Schrenck-Notzing, op. cit., p 140. 

  11. Cf. Josef Schüsslburner, Demokratie-Sonderweg Bundesrepublik, Lindenblatt Media Verlag, Künzell, 2004, p. 631. 

  12. Ibid., p. 233. 

  13. Ibid., p. 591. 

  14. Tomislav Sunic, Titoism and Dissidence, Peter Lang, Francfort, New York, 1995. 

  15. Ainsi, sur proposition initiale du conseiller spécial du gouvernement britannique Omar Faruk, l'Union européenne s'apprête-t-elle à éditer un lexique politiquement correct destiné aux dirigeants officiels européens impliquant de distinguer soigneusement entre islam et islamisme, et de ne jamais parler, par exemple, de « terrorisme islamique » (source). 

  16. Alain Finkielkraut, « Résister au discours de la dénonciation » dans Journal du Sida, avril 1995. Voir « What sort of Frenchmen are they? », entrevue avec Alain Finkielkraut in Haaretz, le 18 novembre 2005. A. Finkielkraut fut interpellé suite à cet entretien par le MRAP, le 24 novembre, pour ses propos prétendument anti-arabes. Le 25 dans Le Monde, il présente ses excuses pour les propos en question. 

  17. Alain de Benoist, Schöne vernetzte Welt, « Die Methoden der Neuen Inquisition » (Hohenrain Verlag, Tübingen 2001, pp. 190-205). 

L'Histoire victimaire comme identité négative Terre et Peuple (hiver 2007) Nr. 34

(Cet article est tiré du discours prononcé par T. Sunic à la XIIe Table ronde de Terre et Peuple, Paris - Versailles, le 21 octobre 2007)

http://www.terreetpeuple.com/

Tomislav Sunic

Dans le monde du simulacre la réalité doit être plus réelle que la réalité. Le discours historique doit également être plus historique que l'histoire elle-même. Afin de rendre leur discours plus crédible les historiens recourent aux paraphrases pleines d'adjectifs surréels et aux chiffres hyperboliques. C'est surtout le cas avec le récit victimaire des peuples lointains et des tribus modernes dans les pays multiculturels. Tout le monde cherche son identité en se projetant à grands pas dans son histoire, voire même sa préhistoire. Ce n'est pas un hasard si, au moment de la perte de leur identité, les Européens s'efforcent de faire des gestes commémoratifs pour les non Européens. On érige des monuments pour les victimes dont on n'a jamais parlé avant, on construit des maisons avec de belles plaques dorées pour marquer l'endroit de la culpabilité européenne. Les jours fériés ou, le cas échéant, les journées commémoratives, s'accumulent de plus en plus.

La mémoire des Européens est de plus en plus contrainte de se déplacer vers les antipodes exotiques afin de rendre hommage aux peuples dont l'identité n'a rien à voir avec celle des Européens. Les peuples européens sont forcés d'entrer dans la phase post-historique de la commémoration globale. D'une part, les medias et les faiseurs d'opinion nous assurent que l'Histoire touche à sa fin. D'autre part, nous sommes témoins d'une revendication grandissante des peuples non européens pour leur histoire victimaire. Tout se passe comme si, pour avoir son identité, on doit faire renaître ses morts. Et comme d'habitude, toute victimologie de l'extérieur cherche son coupable à l'intérieur, à savoir le recueillement obligatoire des Européens devant le Tiers Monde et l'apprentissage de la culture du remords. L'ancien sens du tragique, qui fut jusqu'à une époque récente, le pilier fondamental de l'identité européenne cède sa place aux jérémiades par procuration pour les victimes asiatiques et africaines. On dirait que la culture de la mort fut remplacée par la culture de la nécrophilie. Quelle horreur de ne pouvoir faire étalage des morts et des victimes des autres! La victimologie est devenue une branche importante dans l'étude de l'hagiographie postmoderne.

Nous devons, pourtant, faire une nette distinction entre la culture de la mort et l'esprit victimaire, comme Pierre Vial l'a noté dans son livre La Mort , il y vingt ans. L'esprit victimaire a complètement évacué le sens de la mort précisément parce il traduit les victimes en chiffres mathématiques qui n'ont aucune valeur transcendantale.

D'où vient cet appétit pour les morts - souvent pour les morts des autres? Dans le hit-parade des victimologies diverses ou, comme on dit, dans la "bataille des mémoires", les victimes ne peuvent pas être égales. Les unes doivent l'emporter sur les autres. Or, comment faire une hiérarchisation des morts? Vu l'ambiance victimaire qui règne aujourd'hui en Occident multiculturel, chaque peuple, chaque communauté est portée à croire que sa victimologie est unique. Voilà le problème troublant, vu le fait que la victimologie des uns va fatalement à l'encontre de celle des autres.

L'idéologie des droits d'homme: une idéologie discriminatrice

L'esprit victimaire découle directement de l'idéologie des droits de l'homme. Les droits de l'homme et son pendant, le multiculturalisme, sont les principaux facteurs qui expliquent la résurgence de l'esprit victimaire. Quand tous les hommes sont déclarés égaux chacun a droit à sa victimologie. Par sa nature, les pays multiculturels en Occident sont censés accorder à chaque communauté l'étalage de sa victimologie - fait dont on est témoin chaque jour. Chaque groupe ethnique, chaque communauté raciale, voire même chaque groupe infra- politique a besoin de sa martyrologie pour légitimer son identité. Pour l'illustrer, essayons de nous mettre dans la peau d'un Autre qui habite Paris, Londres ou New York; d'un Congolais, d'un Laotien ou autre. Ne se posent-ils pas la question suivante: Pourquoi les autres, a savoir les Juifs, ont-ils droit à leur victimologie bien en vue et bien connue, et pourquoi pas moi, pourquoi pas nous? D'ailleurs c'est au nom de droits de l'homme et par extension la droit a la victimologie que les plus grandes tueries on été commises au cours du 20em siècle. C'est au nom de droits de l'homme qu'on déclare les peuples et les intellectuels mal-aimés en dehors de l'humanité. La retombée logique de cet esprit victimaire est la recherche de son identité par la négation de l'Autre, qui devient du coup l'ennemi principale. Voici le problème grave auquel la société multiculturelle en Occident doit faire face. Comment trouver un discours supra ethnique et consensuel sans exclure une autre communauté ?

Le concours des récits victimaires rend les sociétés multiculturelles extrêmement fragiles. Par essence, tout esprit victimaire est conflictuel et discriminatoire. Le langage victimaire est autrement plus bestiaire que l'ancienne langue de bois communiste. Or il devient la règle générale et globale qui mène fatalement à la guerre civile globale.

Pour mieux comprendre les retombées conflictuelles de cet esprit victimaire, comme signe de l'identité négative, il faut se pencher sur la classe politique yougoslave et ses historiens en ex-Yougoslavie communiste, juste avant l'éclatement du pays. D'ailleurs la Yougoslavie communiste fut un pays du simulacre par excellence; ses peuples avaient simulé pendent cinquante ans l'unité et la fraternité supra -identitaire. Dans le langage plus direct le discours victimaire antifasciste et communiste fut la cause principale du futur conflit serbo-croate. L'image communiste victimaire avait, à la veille du conflit, envahi l'espace publique yougoslave non en raison du manque de réalité communiste mais en raison de son excès. En Yougoslavie communiste les identitaires croates furent dépeints comme des monstres, comme des fascistes et des oustachis éternels. Or, d'après ce langage victimaire communiste, il ne fut guère possible pour un Croate de déclarer son identité sans tomber dans le piège de la diabolisation antifasciste. Le discours victimaire antifasciste fut un beau jouet utilisé par les communistes yougoslaves pour séparer davantage les Serbes des Croates.

Or, la propagande yougo- communiste avait laissé ses effets néfastes. Lors de la proclamation de l'indépendance croate en 1991, le récit révisionniste et anticommuniste utilisé par les nouveaux dirigeants croates, devait fatalement provoquer la victimologie serbe. L'une renforçait l'autre. Pour les Serbes, l'indépendance croate fut une chose inouïe, toutes leurs peurs des Croates génocidaires dont ils furent les victimes médiatiques pendant l'époque yougoslave étaient en train de se confirmer; peur réelle ou peur factice devant la résurgence d'un pays qui leur rappelait la Croatie de 1941 et qui leur avait laissé un mauvais souvenir.

Il faut rappeler qu'en Yougoslavie communiste, les populations croates et serbes avaient vécu dans un simulacre de l'agression mutuelle - qui n'a pas tardé à venir. La peur des pogromes, l'image anticipatrice des massacres n'a que facilité les vrais massacres à venir. Quand la guerre réelle éclata en 1991, tout le monde utilisait le langage victimaire ne serait-ce que pour créer une bonne mise en scène et pour donner la légitimité à sa cause politique - et souvent pour cacher le passé criminel et communiste des principaux acteurs. En toute logique comment pouvait-on être un bon Croate sans être un bon anti-Serbe? D'ailleurs peut-on être aujourd'hui un bon Français sans être anti-Arabe ou anti-musulman?

Le conflit des identités serbes et croates s'est davantage aggravé en vertu du récit victimaire et surréel venu de l'Occident. Les medias et les politiciens occidentaux fabriquaient des événements réels ou factices du conflit serbo-croate, qu'ils rendaient ensuite hyperréels aux yeux de leurs citoyens et plus tard au Tribunal de La Hayes. Tout devait se passer comme si tout était vrai dans les Balkans. Il serait pourtant faux de suggérer que l'image victimaire du conflit balkanique avait été conçue exprès comme une sorte de propagande politique ou qu'elle relevât d'un complot secret de tel ou tel gouvernement occidental. L'hyperréel balkanique fut la suite logique des discours quasi balkaniques des gouvernements occidentaux qui se chamaillaient les uns avec les autres. Il n'était plus question de savoir si la réalité de la tuerie balkanique était vraie ou fausse; ce qui importait pour la classe occidentale fut de sauvegarder le mythe multiculturel yougoslave en misant tour à tour sur les différents protagonistes de la guerre. Ainsi la réalité réelle dans les Balkans fut occultée tour à tour par la victimisation et la criminalisation de tous contre tous.

Les conclusions qu'on peut tirer du langage victimaire son les suivantes

Au lieu de diminuer le conflit, il l'augmente; au lieu de créer le dialogue identitaire, il le détruit; au lieu de respecter les morts, il les chosifie. L'image et le discours dont les différents nationalismes européens se font les uns des autres reposent toujours sur une légitimité négative, voire une identité négative. Ils ne peuvent pas servir la cause européenne. Toute image victimaire des peuples européens suscite toujours des sentiments primaires.

Le malheureux conflit serbo-croate n'est qu'une des retombées du discours antifasciste victimaire qui remonte à la fin de la Deuxième guerre mondiale. Les causes de ce discours victimaire ne sont jamais débattues ouvertement par les historiens de la cour et les biens pensants actuels. S'ils osent le faire, c'est au risque de tomber sous le coup du code pénal. Voila un phénomène bizarre. D'une part, on est submergé par les discours victimaires anticoloniaux, antifascistes et philosémites; d'autre part, on ne parle jamais des gigantesques crimes commis par les communistes et leurs alliés contre les peuples européens. Qui se souvient encore des victimes du communisme qui n'ont toujours aucun référent victimaire? Si il y a une autre victimologie, qui mérite en Europe son vrai nom et qui est digne de notre recueillement, c'est le tragique sort des millions et des millions d'Allemands durant et après la guerre.

Intervention de Tomislav Sunic au colloque du Château Coloma, 3 mars 2012 LES PEUPLES DE L’EUROPE DE L’EST FACE AU GLOBALISME

par Prof. Tomislav SUNIC (écrivain) www.tomsunic.com Membre du Conseil d’administration du American Third Position Party:

Nous allons commencer par un bref historique des pays de l’Europe de l’Est avant leur transition vers le système capitaliste, au début des années 1990. Je vais brièvement passer en revue la période précédant leur usage de l’Amérique comme référent à leur nouvelle identité. Ensuite, nous allons observer comment les pays de l’Est se posent face à eux- mêmes et comment ils se posent par rapport aux nouveaux défis du globalisme. L’Amérique et l’idéologie libérale sont le phare du mondialisme et j’utilise donc les vocables « américanisme », « libéralisme » et « occidentalisme » comme synonymes. Ma méthode d’analyse s’appuie sur quelques formules de la sociobiologie et de la psychologie des peuples ainsi que sur les théories relatives à la circulation des élites, tout en gardant comme arrière fond les réalités géopolitiques.

Par rapport au pays de l’Europe occidentale, l’Europe de l’Est a toujours été le laboratoire social des élites étrangères, que ce soit les élites françaises, allemandes, russes, ou plus au sud, les élites ottomanes. Aujourd’hui, depuis les pays baltes et jusqu’aux pays balkaniques, ce sont les élites ploutocratiques de l’Amérique et les élites technocratiques bruxelloises qui sont aux postes de commande au plan de leur imaginaire collectif, au plan du langage, au plan politique et économique. Le sens de l’identité étatique est faible dans les pays de l’Est. Les citoyens de ces pays ont certes une conscience nationale et surtout raciale très prononcée, même plus que les citoyens de l’Europe de l’Ouest. En revanche, leur identité étatique reste faible. On peut chercher la raison de ce manque d’identité étatique dans le fait que les frontières de ces pays sont en perpétuel flux et reflux historique.

I. Identité par défaut

Il nous faut souligner que du point de vue racial – ou ce qu’on appelle pudiquement du point de vue « ethnique » – tous ces pays, par rapport à l’Europe occidentale, sont racialement très homogènes, ayant peu de résidents de race non-blanche sur leur sol. Du point de vue de leur « Blanchéité » et de « l’Européanité », tous ces pays sont plus européens que les pays de l’Europe occidentale. Les sentiments de culpabilité historique ou la haine de soi qui sont assez prononcés chez les Européens de l’Ouest, sont pratiquement inconnus dans les pays de l’Est européen.

Les Européens de l’Est connaissent pourtant d’autres problèmes A l’heure actuelle, les millions d’hommes et de femmes de cette région de l’Europe sont déchirés d’une part entre de vieilles habitudes acquises sous le système communiste, lequel malgré ses tares leur assurait la stabilité psychologique et une prévisibilité économique, et d’autre part, les nouvelles règles du globalisme qu’ils n’arrivent pas à maîtriser. De plus, les différends interethniques et les ressentiments envers leurs premiers voisins européens y sont bien vivants. Il ne faut pas sous-estimer les haines interethniques en tant que sources potentielles de nouveaux conflits dans cette région. Les identitaires polonais nourrissent toujours de la méfiance envers les identitaires allemands malgré leur discours commun contre le globalisme. Un tiers des Hongrois, à savoir 2 millions d’individus, résident sous des juridictions étrangères non-hongroises, notamment en Slovaquie, en Serbie et en Roumanie, des régions qui faisaient autrefois partie intégrante du territoire austro-hongrois. Vis-à-vis de leurs voisins allemands, les Tchèques portent également un pénible héritage historique renvoyant à l’expulsion de force et en masse de 3 millions d’Allemands de souche à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Malgré une accalmie entre les Serbes et les Croates, dans les Balkans, rien n’a été résolu au sujet de leurs perceptions hostiles des uns envers les autres. Ces deux peuples voisins continuent à afficher dans leurs medias deux discours historiques différents, deux récits victimaires différents et hostiles les uns aux autres. Pour un nationaliste croate, malgré son anticommunisme et son antilibéralisme, il est impossible d’être « un bon croate » sans au préalable être un « bon antiserbe » . Ici, nous avons un cas classique d’ identité par défaut. On se pose en s’opposant. On n’a qu’à regarder le récent match de handball qui s’est déroulé à Belgrade entre l’équipe serbe et l’équipe croate où les supporters des deux pays, arborant les symboles nationalistes de leurs pays respectifs, semblaient être prêts à reprendre les armes les uns contre les autres à tout moment. Tous les beaux discours contre l’immigration non-européenne, tous les récits sur un certain axe Paris-Berlin-Moscou, tous les projets d’une Europe empire, qui sont de bon ton parmi les identitaires ouest - européens, ne veulent pas dire grand chose en Europe de l’Est.

Chez les identitaires d’Europe occidentale et d’Amérique, l’ennemi c’est l’immigré non- européen avec son prêt-à-porter, le capitaliste nomade qui appartient à la nouvelle superclasse globalitaire. On a du mal à s’imaginer, vu le changement du profil racial à Anvers ou à Bruxelles, un nationaliste flamand allant à la guerre contre son voisin wallon. Ces temps- là, les temps des nationalismes exclusifs, semblent être révolus en Europe occidentale. En revanche, en Europe orientale, les identitaires et les nationalistes perçoivent leur ennemi principal comme au XXe siècle ; c’est le voisin européen qui est désigné comme l’ennemi principal extérieur, accompagné par le vieil ex-communiste à l’intérieur du pays. Nous abordons donc ici deux sujets différents, deux perceptions de soi- même, ainsi que deux perceptions différentes de l’ennemi: le bourgeois apatride à l’Ouest et le dangereux voisin à l’Est.

II. L’héritage communiste

Passons maintenant à l’héritage communiste en Europe de l’Est. Le communisme fut autrefois conçu par ses idéologues et ses porte-parole en Europe de l’Est comme la meilleure courroie de transmission du globalisme prolétarien. Le paradoxe du communisme en Europe de l’Est fut que, grâce à son nivellement politique et en dépit de son discours mondialiste, il n’exerça jamais aucun attrait sur les immigrés du Tiers monde. Son message planétaire devait, dans les années 1980, se rétrécir rapidement dans un étatisme quasi autiste qui s’estompa par la suite devant le message mondialiste propagé avec plus de succès par le libéralisme et par l’Américanisme. Dans ces années 1980, la classe politique en Europe de l’Est dut constater que ses idées paleo- communistes, œcuméniques, apatrides, autrement dit les idées globalistes, se réalisaient beaucoup mieux à l’Ouest qu’à l’Est.

On peut en conclure que le communisme s’est effondré à l’Est parce que ses idées matrices et ses mythes fondateurs sur le progrès s’étaient mieux réalisés à l’Ouest quoique sous d’autres signifiants. En effet, ce fut la comparaison entre le Même communiste avec son Double capitaliste qui conduisit les communistes d’Europe de l’Est et d’Union soviétique à renoncer dans les années 1990 à leur régime – mais pas au Même- Système.

Contrairement à ce qu’on disait et écrivait à cette époque, la prétendue démocratisation de l’Est fut, en effet, initiée par les communistes au pouvoir et non par les nationalistes ou par les anticommunistes. Le recyclage des anciens communistes vers le libéralisme globalitaire était prévisible ; ce recyclage fut un cas d’école parétienne où les résidus idéologiques sont restés les mêmes alors que leurs dérivations ont pris une autre tournure en donnant par suite bonne conscience aux anciens communistes. Ce n’est que suite au rejet officiel du langage communiste par les communistes recyclés et à l’adoption des idées économiques libérales que les nationalistes et les anticommunistes d’Europe de l’Est commencèrent à jouer un rôle visible dans l’arène politique. Toute manifestation nationaliste en Europe de l’Est avait été physiquement détruite dans les années d’après-guerre.

En effet, au début des années 1990, l’ancienne classe communiste est- européenne fut prise au dépourvue – ayant voulu au départ se limiter strictement à la « libéralisation du socialisme réel » sans vouloir changer de structures politiques et sans vouloir toucher à l’épineuse question nationale, sachant bien que le domaine de la question nationale risquait de devenir une poudrière. Ce fut exactement le cas dans l’ex- Yougoslavie communiste et dans une moindre mesure dans les autres pays de l’Est. Bref, le Même communiste n’avait voulu, au début en toute bonne foi communiste, que devenir l’Autre Même, mais en aucun cas devenir l’Autre anticommuniste.

Vu avec le recul d’aujourd’hui, les Européens de l’Est n’auraient peut-être pas opté si vite pour le rejet de la variante communiste s’ils avaient su que le Double libéralo-américain, qu’on observe aujourd’hui dans toute sa splendeur mortelle, ne diffusait pas avec plus de succès l’image des lendemains qui chantent. Si l’Américanisme n’avait pas séduit les masses d’Europe de l’Est par l’étalage de son monde virtuel, la plupart des citoyens est- européens seraient encore heureux de vivre le Même communiste. Là où manquent les moyens de comparaison avec l’Autre, il n’y a guère besoin de mimer l’Autre. Et l’existence, bien entendu, devient tout à fait vivable. Imaginons un monde effrayant où l’on perd la notion de comparaison et la notion de Double. Or l’Amérique actuelle, et ses pendants, le libéralisme et le globalisme, représentent aujourd’hui cette réalité effrayante ou la Mêmeté exclut le Double. Toute comparaison doit disparaître ; toute alternative, sociale, économique, doit être interdite et sanctionnée par le code pénal !

Dans les années 1990, les anciens fonctionnaires communistes étaient convaincus qu’en imitant le libre échangisme importé de l’Ouest, ils resteraient les mêmes porte-parole du progrès global économique. On a beau dire qu’il s’agissait d’une hypocrisie gigantesque — les données furent et sont plus compliquées pour expliquer leur soudain virage vers le marché libre : « Voilà pourquoi les anciens apparatchiks communistes, écrit Claude Karnoouh, tant ceux des institutions politico-policières que de l’économie planifiée, se sont si facilement adaptés à l’économie de marché et se sont complus à brader sans vergogne le bien commun par des privatisations massives qui représentent, à coup sûr, le plus grand hold-up du siècle sur la propriété collective ».

Certes, on serait tenté de dire que les ex-communistes d’Europe orientale possèdent une plasticité qui les rend aptes à tous les recyclages. Soit. Il nous faut pourtant prendre en considération que les idées dominantes à l’Ouest avaient commencé à changer dans les années 1970 et au début des années 1980, de sorte que la fameuse perestroïka soviétique avait été initiée par le recyclage intellectuel de la gauche caviar des salons occidentaux avant de se propager par la suite à l’Est. En outre, les classes communistes d’Europe de l’Est furent obligées, en raison de leur complexe d’infériorité issu de leur passé criminel et criminogène, de se présenter comme plus « libéraux », plus « américains » et plus « européens » que les Européens de l’Ouest ou les Américains eux-mêmes.

Quant aux masses de citoyens est-européens, à la veille de l’effondrement du communisme, le mythe surréaliste de l’Amérique l’emportait chez elles sur la réalité vraie. Certes, la psychologie des masses communisées est- européennes était différente de celle de leurs dirigeants, tous pourtant, et chacun à sa façon particulière, se projetant sur le Double américain mal mimé. Même lorsque les apparatchiks locaux diffusaient des slogans, pas toujours faux, sur la pauvreté et la criminalité en Amérique, les citoyens est -européens ne voulaient pas y croire. C’était agréable de se projeter par procuration sur un monde hyperréel américain. L’américanisation, l’occidentalisation et le globalisme étaient porteurs d’une nouvelle promesse.

III. Le Même et le Mime

Il nous faut dissiper quelques concepts politiques et quelques idées reçues sur l’américanisme. Le système américain, en tant que vecteur principal du globalisme, fonctionne souvent par le biais de ses imitateurs aux 4 coins du monde qui s’évertuent à qui mieux mieux à se montrer les uns aux autres que l’Amérique est bel et bien le pays qui mérite d’être mimé. Le Double donc, à savoir le globalisme américano-sphérique est, d’après eux, censé devenir le destin de tous. L’imitation de l’Américanisme, dans de nombreux cercles politique et intellectuels européens, ne donne que davantage de crédibilité à l’expansionnisme américain.

On décrit souvent l’Amérique comme un pays volontariste, hégémonique, impérialiste et messianique. Globalement, c’est vrai. Mais les décisions américaines se font souvent en fonction du mimétisme de ceux qui veulent dépasser les Américains par leur hyper – américanisme. Un cas d’école est représenté par l’Allemagne d’aujourd’hui, un pays qui doit « jouer » au démocratisme et aux règles du jeu global plus que ses maîtres d’outre- mer dont elle devait apprendre, après la Deuxième Guerre mondiale, les règles du comportement globaliste. Voici le grotesque infra- politique. Ce comportement mimétique était évident dans l’Europe de l’Est, en 2003, quand les imitateurs est-européens furent parmi les premiers à offrir leur aide à l’intervention militaire américaine en Irak – sans même que l’Amérique le leur demande. Dès lors, leur servilité vis-à-vis de l’américanisme n’a plus eu de bornes. En emboîtant le pas aux Américains, ils croient, par détour, favoriser leur position dans le monde globalitaire.

L’hyper-servilité des élites postcommunistes s’inscrit dans les pas de leur ancienne servilité vers Moscou. Autrefois, c’était Moscou qui était le lieu du pèlerinage ; aujourd’hui, le nouveau Sacré s’appelle New York et Tel Aviv.

IV.La nouvelle ancienne classe – la sélection négative

Qui sont les gens au pouvoir à l’Est ? Des pays balkaniques aux pays baltes, la majorité des politiciens est-européens se compose de fils et de filles d’ anciens apparatchiks communistes. Dans l’optique sociobiologique, il nous faut garder à l’esprit que la terreur communiste et le nivellement social ont eu pour conséquences l’épuisement du patrimoine bioculturel, à savoir la chute du fonds racial et culturel et l’émergence d’individus aux instincts primaires. Les anciennes élites biologiques et spirituelles d’Europe de l’Est dont le système de valeur était ancré sur l’honneur, le dépassement de soi, le sacrifice pour le bien commun, ont été complètement détruites après 1945. Une sélection négative s’est opérée qui fut plus grave qu’en Occident vu que l’ Occident réussit quand même à préserver quelques bribes des anciennes élites.

Les mesures d’épuration anticommunistes ne furent jamais prises tout simplement parce qu’elles ne pouvaient pas l’être. A part quelques gestes contre quelques individus de l’ancienne police politique, les anciens dirigeants communistes sont restés en place et jouissent de l’impunité juridique. Force est de constater que faire de la décommunistion par la voie du Système libéral est un non sens. Cela ne peut donner aucun résultat étant donné que l’aboutissement logique du procès du communisme devrait être le rejet total de sa matrice, à savoir le libéralisme. L’élite postcommuniste au pouvoir en Europe de l’Est en est bien consciente : à deux reprises, elle a été largement bénéficiaire des changements intervenus ; la première fois à l’époque communiste, la deuxième fois à l’époque actuelle. Les membres de l’ex-nomenklatura ne sont pas seulement en position favorable pour acquérir des propriétés publiques et fonder des entreprises ; ils jouissent aussi de la pleine légitimité auprès des cercles mondialistes — sachant que dans la plupart des cas, leurs homologues occidentaux sont d’ex–membres de la gauche maoïste, titiste et trotskiste !

La présence de la nouvelle ancienne classe communiste aux commandes en Europe de l’Est semble aujourd’hui bien arranger les institutions mondialistes et supra-étatiques car « celles-ci ne semblent intéressées que par un seul but : permettre aux entreprises d’Europe occidentale de s’approprier les principales richesses industrielles et naturelles de ces pays ». Par conséquent, les élites mondialistes venues des quatre coins du monde, sont beaucoup plus à l’aise avec les nouvelles élites post-néo-communistes d’Europe de l’Est qui sont plus malléables que les élites ouest- européennes. Le même cadre d’analyse peut s’appliquer au syndicalisme, aux nouveaux partis politiques et aux nouveaux cercles littéraires d’Europe de l’Est qui sont tous à l’écoute des maîtres occidentaux. Il n’y a eu que quelques rares exemples de volonté d’indépendance, à commencer par celui de la petite Croatie en guerre au début des 1990 et plus tard celui de la Serbie confrontée à l’agression de l’OTAN — mais ces gestes de panache guerrier furent de courte durée. Aujourd’hui, c’est au tour des identitaires hongrois de mettre en cause les mythes fondateurs de l’EU – avec les conséquences que nous devrions bientôt voir.

Les anciens cadres communistes au pouvoir en Europe de l’Est sont mieux en mesure que d’autres de s’appuyer sur les configurations globalistes. Les organisations supra étatiques telles que l’OMC, le FMI et la Banque Mondiale sont devenues pour eux des référents essentiels pour prospérer. Cette nouvelle élite postcommuniste ne vient donc pas de l’économie privée qui fut d’ailleurs marginalisée et largement interdite au cours des décennies communistes, mais des rangs des anciens cadres socialistes. Un grand nombre d’ex-membres de la nomenklatura ont rapidement acquis des titres de propriété et se sont transformés en entrepreneurs.

V. Conclusion : La Mort du Système

Le Système globaliste se décompose. Nous sommes dans la phase terminale du système capitaliste. Le libéralisme avait pu cacher sa nature inhumaine à l’époque de la guerre froide et pendant les Trente Glorieuses, aussi longtemps qu’il se sentait menacé par son Double incarné dans le système soviétique. À cette époque, son seul but était de montrer à son Double communiste d’Europe de l’Est qui il savait poursuivre le même objectif tout en le rendant plus « humain » et économiquement plus efficace.

Avec la crise structurelle du libéralisme et le rôle grandissant des unités supra-étatiques telles que l’OMC, le FMI, l’Union Européenne, de grands bouleversements sont à l’ordre du jour. On ne va pas se réjouir trop tôt de la prochaine mort du libéralisme, car les mois et les années de chaos qui sont devant nous vont nous offrir un spectacle totalement différent de celui auquel nous nous attendons et que nous souhaitons. Je vous renvoie à mes livres où je traite plus en profondeur de ces sujets.

L’Amérique a cessé depuis longtemps de fonctionner comme un État, étant donné qu’elle na jamais été conçu comme un État. L’américanisme est devenu un concept liquide qui fonctionne de plus en plus comme un système supra étatique aux identités disparates. Tous les peuples du monde sont devenus victimes des organismes globalitaires et multinationales qui licencient ici pour s’implanter là où la main-d’œuvre est meilleur marché, puis déménagent le lendemain dans un autre pays au bas coût du travail. C’est le cas avec l’Europe de l’Est aujourd’hui où le coût du travail est moins élevé qu’en Europe occidentale, où les syndicats sont faibles et où les salaires sont bas. Les termes comme: « mondialisation », « gouvernance », « flexibilité », « exclusion », « nouvelle économie » « multiculturalisme » « minorité », « tolérance », « identité » sont de mise. La diffusion de cette nouvelle langue de bois mondialiste — dont sont remarquablement absents les anciens vocables communistes tels que « capitalisme », « classe » « exploitation », « inégalité », etc. — est le produit de la logique du capitalisme. Les effets néfastes étaient prévisibles il y a bien longtemps.

Reste l'éternelle question : que ce serait-il passé si l'autre parti, à savoir le communisme, l'avait emporté avant et lors de la guerre froide ? Peut être la même chose. En réalité, comme le siècle précédent en témoigne, les fantaisies constructivistes, tel que le libéralisme et le communisme, donnent des mêmes résultats sous des signes opposés.

Le libéralisme nous montre finalement son visage de prédateur. Il est devenu chaotique et incontrôlable. Il ne peut plus se cacher derrière de belles paroles comme droits de l’homme, tolérance et paix. Le système libéralo- communiste est essentiellement un système inhumain. De nombreux observateurs -- même ceux qui se veulent ses apôtres -- savent que nous nous trouvons devant une nouvelle avant- guerre.

L’un des traits suicidaires du globalisme est son capitalisme financier. Les véritables souverains d’aujourd’hui ne sont pas les princes et les politiques mais les banques et les sociétés cotées en Bourse. Désireux d’obtenir le rendement maximal de leurs investissements, leurs actionnaires poussent à la compression des salaires et à la délocalisation du travail. De fait, l'économie d'intérêt a tendance à favoriser l'investissement à l'argent lui-même. D’ailleurs, l'économie d'intérêt met l'accent sur les gains à court terme. Il n’y a là rien de neuf. Les crédits faciles et le prêt à intérêt sont des outils privilégiés de l’expansion du capitalisme financier. Les choses sont devenues violentes lorsque les crédits hypothécaires ont pris le dessus sur les autres formes de crédit.

Les banques créent en effet l'argent nécessaire aux emprunts -- mais elles ne créent pas l'argent nécessaire au remboursement des intérêts sur ces mêmes emprunts. A cause de l'absence de l'argent nécessaire aux remboursements des intérêts, les emprunts appellent de nouveaux emprunts, créant ainsi une chaine de dette pour tout le monde sauf pour les riches. Le montant de l’argent dû aux banques excède toujours le montant d’argent disponible.

La multiplication des défauts de paiement d’emprunteurs qui sont incapables de rembourser leurs dettes nous a amené au chaos actuel. On voit l’opération se répéter aujourd’hui aux dépens des Etats, avec la crise de la dette souveraine. Rien de neuf ; ce scénario nous rappelle le temps des années 1930 en Europe.

Je cite, dans ma traduction d’allemand en français, l’économiste Gottfried Feder : Le capital d’emprunt rongé par le prêt à intérêt est le fléau de l'humanité ; la croissance infini et sans effort dû au grand capital d’emprunt conduit à l'exploitation des peuples, ce qui n’est pas le cas avec le fonds de roulement productif qui est créateurs des biens.

Le caractère sacré de l'intérêt est le tabou ; l'intérêt est le saint des saints ; personne n’y ose toucher. Alors que les biens, la noblesse, la sécurité des personnes et de leurs biens, les droits de la Couronne, les réserves, les convictions religieuses, l'honneur d'officier, le patriotisme et la liberté sont plus ou moins hors la loi, l'intérêt reste sacré et inviolable. La confiscation des biens, la socialisation sont à l’ordre du jour, a savoir les flagrantes violations de la loi, et qui ne sont qu’ enjolivées, car prétendument commises contre l’individu au nom de la collectivité. Tout ceci est autorisé. En revanche le taux d'intérêt reste ; «Noli me tangere» ne me touche pas ! Rührmichnichtan”. ( Kampf gegen diei Hochfinanz, Munich, 1935)

Nous n’avons qu’à lire les ouvrages des années 1920 pour voir que ce sont les prêts hypothécaires et les prêts à intérêt dont on nous rebat les oreilles aujourd’hui, qui ont amené l’Allemagne à la guerre en 1939. Le système globaliste conduit à une paupérisation des classes populaires et des classes moyennes qui, dans l’espoir de maintenir leur niveau de vie, n’ont d’autre ressource que de s’endetter davantage.

Le capital globalitaire financier ne remplit aucune fonction productrice. Au contraire, il joue un rôle parasitaire. La suppression du capitalisme financier et la suppression du revenu des oisifs et des spéculateurs, ainsi que la suppression de l'esclavage de l'intérêt doit être le but principal de notre combat. Ne nous faisons pas d’illusions. La prochaine guerre des races, en Amérique et en Europe, sera fatalement accompagnée par l’ancienne guerre des classes parmi les Blancs. En effet, avant d’affronter la poudrière raciale dans nos contrées balkanisées, nous devons affronter notre ennemi principal : le capitaliste local et son alter ego, le spéculateur globalitaire.

Merci de votre attention.

La balkanisation du Système ; Ernst Jünger et la fin des temps

La locution "la fin des temps" n'est pas sans rappeler les prédictions bibliques d'un cours du temps linéaire qui devrait conduire à la fin du monde. Cette idée semble être typique chez les gens dont la pensée est alimentée par le mental monothéiste et sémitique, comme l’annonce la Révélation présentée à la fin de l’Apocalypse (XXI, 1-2). Et j’ai vu un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car l’ancien ciel et l’ancienne terre avaient disparu, et la mer n’est plus. J’ai vu aussi la ville sainte, la Nouvelle Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, et préparée comme une épouse parée pour son mari.

Aujourd'hui, on observe cet esprit monothéiste dans la croyance au progrès économique, avec ses retombées idéologiques: le multiracialisme et le libéralisme apatride. Mais on rencontre également dans l’héritage européen la notion de fin des temps, bien que ces temps aient une nature cyclique. Dans ses ouvrages, Ernst Jünger décrit les temps du destin par rapport aux temps technocratiques, linéaires et mesurables du Système. Est-ce que la situation en Europe d’aujourd’hui peut être encore pire que ce qu’elle est déjà ? "Le destin peut être deviné, senti, et craint, mais il ne peut jamais être connu. Si cela devait changer, l’homme mènerait la vie d'un prisonnier qui connaît l'heure de son exécution ».1 Par conséquent, afin de mettre en place un avenir prévisible, le Système doit exiger de ses citoyens de se comporter comme des détenus dociles dans le couloir de la mort.

Pour beaucoup d’Européens - et surtout pour les anciens critiques du Système communiste -, le communisme fut le symbole de la fin des temps qui devait fatalement exclure tous les temps ultérieurs. Le cours du temps dans le communisme semblait être bloqué pour toujours. Après le désastre de 1945, de nombreux Européens avaient commencé à croire non seulement à la fin d'un monde mais à la fin du monde tout court. Pour les Européens de la postmodernité, la même question se pose : vit-on les temps finaux européens, ou est-on témoin de la fin des temps mondiaux? Il se peut que les temps européens soient bien révolus depuis longtemps et il se peut que tous les Européens vivent depuis des décennies dans un profond déclin racial. Peut-être sont-ils arrivés à la fin d’une époque qui n’a pas encore reçu son nom? Le problème réside dans le fait que les temps du Système actuel, quoique d’une brièveté certaine dans le cadre de la grande histoire, possèdent une durée pénible pour un rebelle. Comment doit-on évaluer ces temps-là?

La notion du cours du temps, surtout en cas d'urgence, est très bien ressentie dans les Balkans, une partie de l'Europe qui est constamment sous influences tectoniques majeures. La balkanisation ne signifie pas seulement la dislocation géopolitique ; elle renvoie également à une forme de la dégénérescence d’identité, où se mélangent et se confondent diverses identités politiques, religieuses et raciales qui sont constamment remplacées par de nouvelles identités venues d’ailleurs. Toutefois, compte tenu des catastrophes qui s’approchent à grands pas de l’Europe, toute balkanisation peut servir de leçon pour aiguiser le talent de survie. Ce talent exige de pratiquer la vie en solitaire, et d’être complètement détaché de tous les liens politiques avec le monde d'aujourd'hui. En cas de nécessité, on devrait, comme ce fut habituel chez les chouans vendéens pendant la Révolution française, ou chez les guérilléros espagnols pendant l’occupation napoléonienne, ou bien encore chez les haïdouks balkaniques pendant l’occupation turque du XVIe au XIXe siècle, vivre comme des paysans mais, en cas d'urgence, être prêt à rapidement prendre les armes.

Aujourd'hui, cependant, il ya deux formes opposées de la balkanisation. D'un côté, l’Europe orientale continue toujours d’être en proie à la haine interethnique entre ses peuples. D'un autre côté, on observe en Europe occidentale une guerre larvée avec les non-Européens. Or à la lumière des vagues d’immigration en provenance du Tiers-Monde, tous les Européens sont censés devenir de bons Balkaniques : pas forcément dans le sens négatif, mais dans un sens positif qui sous-entend l’esprit de la déterritorialisation locale, et qui est seulement possible dans une Europe d’Empire. Celui qui vit au milieu d'animaux sauvages devrait devenir un animal, et peu importe qu’il habite Paris, Washington ou Francfort. Comme le sociologue italien Vilfredo Pareto a justement prophétisé il y a cent ans: «Celui qui devient l'agneau va se trouver bientôt un loup qui le mangera.".2 Or le talent de vie dans la fin des temps exigera donc des loups européens d’apprendre à revêtir les habits de brebis.

On devrait se rappeler la figure de l’Anarque d’Ernst Jünger dans son roman Eumeswil. Le protagoniste, Martin Venator, vit sa double vie dans une société postmoderne et multiculturelle à coté de la casbah d’Eumeswil. Or l’Anarque n'est ni rebelle, ni dissident, ni anarchiste quoiqu’au moment donné, il puisse revêtir toutes ces trois figures à la fois. D’ailleurs, l’Anarque semble s’être très bien inséré dans le système de la pensée unique et de l’autocensure du Système. Il attend patiemment son moment ; il va frapper seulement quand le moment sera mûr. Ce roman de Jünger peut être considéré comme le Bildungsroman pour la génération actuelle de jeunes Européens dont le rôle didactique peut leur faciliter le choix de la figure du rebelle.

L’arrivée en masse d’immigrés d’une culture et d’une race étrangère à l'Europe exige de tous les Européens de bien réfléchir à quelle figure de comportement choisir, c’est à dire à quelle nouvelle identité jouer. Historiquement, les figures du rebelle nationaliste en Europe centrale et orientale n'ont jamais eu d’effet convergent sur les peuples européens. Elles ont été nuisibles et doivent donc être rejetées. Toutes les formes et figures de la rébellion – que ce soit l’appartenance à sa tribu ou à son Etat aux dépens de son voisin blanc, comme en témoignent les guerres entre la Pologne et l'Allemagne, entre les Serbes et les Croates, entre les Irlandais et les Anglais – semblent devenues dérisoires aujourd’hui. L’Europe balkanisée, avec ses figures rebelles des nationalismes exclusifs, ne fait que donner davantage de légitimité au projet multiracial du Système. Toute figure de dissident au Système, comme fut autrefois la figure de l’anarchiste ou du partisan est désormais vouée à l’échec dans un Système possédant des moyens de surveillance totale. Ce qui reste maintenant aux nouveaux rebelles, c’est le devoir de se définir comme héritiers européens, nonobstant le pays où ils vivent, que ce soit en Australie, en Croatie, au Chili, ou en Bavière.

Compte tenu de l'afflux massif d’immigrés non-européens, les Européens ne peuvent plus s’offrir le luxe de l’esprit de clocher. Le danger imminent de leur mort peut les aider à se débarrasser de leur particularisme territorial. En effet, qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui être Allemand, Français, Américain, vu le fait que plus de 10 pour cent d’Allemands et de Français et plus de 30 pour cent des Américains sont d'origine non-blanche?

Le génocide communiste ou le multiculturalisme génocidaire

Afin de s’appréhender soi-même et de se projeter par-dessus Le Mur du Temps on devrait faire un parallèle entre l’ancienne terreur communiste et la mort lente actuelle, causée par la dilution du fonds génétique des Européens. Dans ce contexte, les tueries gigantesques menées par les communistes en Europe orientale contre leurs ennemis suite à la fin de la Deuxième Guerre mondiale peuvent servir d’avertissement afin de mieux comprendre la situation actuelle menant à la mort de l’Europe. Dans le sillage de la terreur déclenchée par les communistes après la Seconde Guerre mondiale, les raisons idéologiques, telle que la «lutte des classes», jouaient un rôle mineur. Dans la psychologie des communistes, beaucoup plus important fut leur ressentiment pathologique vis-à-vis de leurs adversaires anticommunistes et nationalistes qui étaient plus intelligents et avaient davantage d’intégrité morale. Un semblable ressentiment est typique des immigrés non-européens. Bien entendu, ils ne sont pas encore en mesure de convertir leur haine contre les Européens blancs en conflit militaire mais leur nombre croissant peut facilement changer la donne.

Suite à la Seconde Guerre mondiale, les génocides communistes ont eu une influence catastrophique sur l'évolution culturelle et génétique de toute l’Europe orientale. La classe moyenne ainsi qu’un grand nombre de gens intelligents furent simplement supprimés, ne pouvant transmette leur patrimoine génétique, leur intelligence et leur créativité à leur progéniture. Alors, où sont donc les parallèles avec le monde multiracial d’aujourd’hui en Europe ? Force est de constater que tout ce que les communistes ne pouvaient pas parachever par la terreur en Europe orientale est en train de se faire maintenant d’une manière soft par l'actuelle "super classe" libérale et cela par le truchement de son idéologie de rechange, le « multiculturalisme ». L'afflux constant de non-Européens est en train d’affaiblir le fonds génétique des Européens, menant à leur mort douce où les lignes entre l’ami et l’ennemi s’effacent complètement. On s’aperçoit clairement de l'impact brutal de l'idéologie de l'égalitarisme et de sa nouvelle retombée dans le Système, qui enseigne, aujourd’hui comme autrefois, que tous les hommes doivent être égaux et par conséquent interchangeables à volonté.

Le multiculturalisme est la nouvelle forme du balkanisme, à savoir une idéologie servant aujourd’hui d’ersatz au communisme discrédité. En effet, le multiculturalisme utilise des moyens plus subtils que le communisme quoique leurs effets soient identiques. L’esprit communiste et l’esprit multiculturel sont très populaires auprès des gens du Tiers-Monde, mais également auprès des intellectuels de gauche du Système, toujours à l'affût d’un nouveau romantisme politique. Le communisme a disparu en Europe orientale parce qu'en pratique, il a su beaucoup mieux réaliser ses principes égalitaires en Europe occidentale quoique sous un autre signifiant et sous un autre vocable. Le Système, soit sous son vocable communiste, soit sous son vocable multiculturel, croit que toutes les nations européennes sont remplaçables au sein du Système supra-étatique et supra-européen.

Les nouvelles figures du rebelle

Les responsables de la balkanisation de l'Europe et de l'Amérique sont les capitalistes. Il est dans leur intérêt d'obtenir une armée de travailleurs de réserve en provenance du Tiers-Monde. Ils savent pertinemment que les travailleurs non-européens importés en Europe n'appartiennent pas forcément à l'élite intellectuelle de leurs pays d'origine, que leur conscience sociale n'est souvent qu'embryonnaire et qu'ils n'ont généralement aucun sens du destin européen. C'est pourquoi ils sont plus aisément manipulables. Leur marchand n'a pas d'identité, non plus. Un banquier allemand ou un ex-communiste croate devenu spéculateur dans l’immobilier ne se soucie guère de sa résidence ni de la leur - tant qu'il gagne de l'argent. Même le père fondateur du capitalisme, l’infâme Adam Smith a écrit: «Le marchand n'est pas forcément citoyen d’aucun pays».3 Par conséquent, le nouvel Anarque, à savoir le nouveau rebelle, ne doit pas être choqué par la nouvelle sainte alliance entre le Commissaire et le Commerçant, entre les grandes entreprises et la Gauche caviar. La Gauche est en faveur de l'immigration de masse parce que la figure de l’immigré tient lieu aujourd'hui du prolétaire d’antan. Les capitalistes d’une part, et les « antifas », les pédérastes, les militants des droits de l’homme et les militants chrétiens de l'autre, sont désormais devenus les porte-parole de l'abolition des frontières et les haut-parleurs d’une Europe multiraciale et sans racines. Le capitaliste vise à réduire l'État-providence, car chaque État lui coûte cher. Un antifa veut abolir l'État, parce que tout État, lui rappelle « la bête immonde du fascisme ».

L'opinion s’est largement répandue que l'islam est l’ennemi principal de l’Europe car cette religion est prétendument violente et dangereuse. Soit. Mais on doit distinguer entre la religion et l'origine raciale. En outre, il est à souligner que ni l'Ancien Testament ni l’Évangile ne sont une prose paisible. La critique de la religion n'est donc pas appropriée quand on fustige l'immigration de masse. En l’occurrence, la plupart des 30 millions d'immigrés illégaux en Amérique sont de pieux catholiques venus d'Amérique latine, mais ils ne sont pas de souche européenne ! Ils appartiennent à une autre race et à une autre culture.

Comment façonner un nouveau type de rebelle blanc ? Le nouvel Anarque doit chercher dans sa culture et sa race ses points de départ. La notion et la réalité de la race ne peuvent être niées, même si le terme de race est aujourd’hui criminalisé à outrance par les medias. L’hérédité est considérée par les scribes académiques du Système avec horreur et dégoût, bien qu’ils sachent tous, surtout lorsque l'état d'urgence sera proclamé, qu’ils vont aller se réfugier du côté de leur propre tribu et de leur propre race. Force est de constater qu’on peut changer sa religion, ses habitudes, ses opinions politiques, son terroir, sa nationalité, voire même son passeport, mais on ne peut jamais échapper à son hérédité. La récente guerre dans les Balkans nous a montré de façon limpide que lors de l’instauration de l’état d’urgence, les anciens apatrides croates et pro-yougoslaves n’avaient pas hésité à devenir des ultras Croates - par défaut. Gare à celui qui oublie ses racines. C’est l’Autre qui va vite les lui rappeler.4

Toutefois, la conscience raciale dans la fin de nos temps ne peut être considérée comme un outil complet par le nouveau rebelle. La race, comme Julius Evola ou Ludwig Clauss nous l’enseignent, n'est pas seulement une donnée biologique - la race est aussi la responsabilité spirituelle. Il y a beaucoup, beaucoup de Blancs en Europe et en Amérique dont l’esprit est complètement corrompu - malgré une bonne mine "nordique". Déjà Clauss a écrit: "Examiner une race signifie d’abord de s’apercevoir du sens de sa figure corporelle. Mais ce sens ne peut être compris que du point de vue de la figure de l’âme ».5

Pour restaurer son identité dans les temps d’urgence qui adviennent, l’Anarque doit examiner la doctrine de l'égalitarisme issue du christianisme. Les immigrés non-européens savent fort bien que l’Europe est très imprégnée d’un christianisme qui se reflète aujourd’hui dans les sentiments de culpabilité de l’homme blanc et dans le prêchi-prêcha séculièr sur la religion des droits de l’homme. En revanche, le sentiment de haine de soi n’existe guère chez les immigrés et pas plus au sein de la classe politique de leurs pays d'origine. Les Européens qui ont vécu dans les pays du Tiers-Monde savent fort bien ce que veut dire la discrimination raciale contre sa propre population. Un métis du Mexique habitant au sud de Los Angeles ou un Turc aux traits mongoloïdes habitant à Berlin Kreuzberg savent exactement quel groupe racial et culturel ils peuvent fréquenter. Le second, par exemple, n'a rien à chercher auprès des «Turcs» européens de la classe supérieure qui n’ont aucun scrupule à arborer en permanence leurs origines albanaises ou bosniaques, et qui aiment bien s’en vanter en public. Un hidalgo mexicain servant comme haut-diplomate à Madrid déteste un Cholo habitant le barrio de Los Angeles. En revanche, l'Allemagne, l'Amérique, l’Espagne, la France accordent à ces peuplades du Tiers-Monde des moyens de s’épanouir dont ils ne peuvent que rêver dans leurs pays d’origine.

Même s'il semble impossible de parler d’expulsion massive ou de transfert des populations, c’est une idée qu’on ne doit jamais exclure. Plus de 12 millions d'Allemands furent expulsés de leurs foyers en Europe orientale à la fin de l'automne 1944 et au début de 1945 - dans une période de quelques mois seulement.6 Demain, le même scenario peut encore avoir lieu, suivi par de nouveaux génocides et par la migration massive de millions de personnes en Europe. Pour le rebelle européen reste à savoir qui sera l’architecte de ce nouveau «nettoyage ethnique» et qui en sera la victime.

Dans l’optique optimiste, même un aveugle peut s’apercevoir que le Système est mort. L’expérience avec ses dogmes abstraits de multiculturalisme et de progrès économique a échoué. Tant en Europe qu’aux États-Unis, on voit chaque jour que l'expérience libérale a touché à sa fin il y bien longtemps. Il y a suffisamment de preuves empiriques pour nous démontrer ce fait. On n’a qu’à choisir le plus visible et le plus audible. Il est caractéristique de la classe politique moribonde de vanter la « perfectibilité », « l’éternité », et la « véracité » de son Système – précisément au moment où son Système est en train de s'écrouler. Ces vœux pieux et d’auto-satisfaction, on a pu les observer tant et tant de fois dans l'histoire. Même les notions de la classe dirigeante actuelle portant sur la fin des temps et la «fin de l'Histoire» nous rappellent la mentalité de la classe politique des anciens pays communistes, en l’occurrence la Yougoslavie peu avant son effondrement. En 1990, il y avait encore de grands défilés pro-yougoslaves et procommunistes en Yougoslavie où les politiciens locaux se vantaient de l'indestructibilité du Système yougoslave. Quelques mois plus tard, la guerre commença - et le Système mourut.

Dans l’Union européenne, la classe dirigeante d'aujourd'hui ne sait plus où elle va et ce qu'elle veut faire avec elle-même. Elle est beaucoup plus faible qu'elle ne veut le laisser voir à ses citoyens. Le nouvel Anarque vit de nouveau dans un vide historique et il dépend de sa seule volonté de remplir ce vide avec le contenu de son choix. La charrue peut facilement se muer en épée.

(Terre & Peuple, hiver 2011, nr. 50)

www.terreetpeuple.com

Tomislav Sunic (www.tomsunic.com) est écrivain, ancien diplomate croate et ancien professeur américain en science politique. Il est actuellement conseiller culturel de l’American Third Position Party. Ses derniers livres publiés sont La Croatie ; un pays par défaut ? (Avatar, 2010) et Postmortem Report: Cultural Examinations from Postmodernity (Wermod et Wermod, 2010), avec une préface de Kevin MacDonald.

Notes


  1. Ernst Jünger, An der Zeitmauer, (Cotta- Klett Verlag, 1959), p. 25. 

  2. Vilfredo Pareto, "Dangers of Socialism", The Other Pareto (St. Martin's, 1980), p. 125. 

  3. Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 2 Vol. (Edinburgh, Printed, at the Univ. Press, for T. Nelson, 1827) p. 172. www.econlib.org/library/Smith/smWN11.html 

  4. Tomislav Sunic, La Croatie, un pays par défaut? (Avatar, 2010). 

  5. Ludwig Clauß, Rasse und Charakter, (_Verlag Moritz Diesterweg, Frankfurt a. M. 1942),_ p. 43. 

  6. Tomislav Sunic, „ In Fluß der verlorenen Zeiten; Das Schicksaal des Deutschtum im Donauraum ", in Kein Dogma, Kein Verbot, Kein Tabu! (Hrsg. Alfred Schickel. Festschrift für Prof. F.W. Seidler, Pour le Merite, 2008), p. 213-219. 

La destruction des Allemands ethniques et des prisonniers de guerre allemands en Yougoslavie: 1945-53 (Ecrits de Paris ~ Mars, 2008)

Par les médias européens et américains, on peut souvent avoir l’impression que la Seconde guerre mondiale doit être périodiquement ressortie pour donner une crédibilité à des demandes financières d’un groupe ethnique spécifique, aux dépens des autres. Les morts civils des perdants de la guerre sont, pour la plupart, passés sous silence. L’historiographie standard de la Seconde guerre est couramment basée sur une distinction nette et polémique entre les « mauvais » fascistes qui ont perdu et les « bons » antifascistes qui ont gagné, et peu de spécialistes sont prêts à enquêter dans l’ambigüité grise se trouvant entre les deux. Même maintenant que les événements de cette guerre s’éloignent dans le temps, ils semblent devenir politiquement plus utiles et plus opportuns en tant que mythes.

Les pertes militaires et civiles allemandes pendant et surtout après la Seconde guerre mondiale sont encore enveloppées dans un voile de silence, du moins dans les mass médias, même si un impressionnant corpus de littérature spécialisée existe sur ce sujet. Ce silence, dû en grande partie à la négligence académique, a des raisons profondes et mérite une enquête érudite plus attentive. Pourquoi, par exemple, les pertes civiles allemandes, et particulièrement le nombre stupéfiant de pertes parmi les Allemands ethniques dans l’après-guerre, sont-elles abordées aussi sommairement, quand elles le sont, dans les manuels scolaires d’histoire ? Les mass médias – télévision, journaux, films et magazines – se penchent rarement, ou pas du tout, sur le sort des millions de civils allemands en Europe centrale et orientale pendant et après la Seconde guerre mondiale.1

Le traitement des Allemands ethniques civils – ou Volksdeutsche – en Yougoslavie peut être considéré comme un cas classique de « nettoyage ethnique » à grande échelle.2 Un examen attentif de ces tueries de masse présente une myriade de problèmes historiques et légaux, particulièrement quand on considère la loi internationale moderne, incluant le Tribunal des Crimes de Guerre de la Haye qui s’est occupé des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans la guerre des Balkans de 1991-1995. Pourtant le triste sort des Allemands ethniques de Yougoslavie pendant et après la Seconde guerre mondiale ne devrait pas être une moindre préoccupation pour les historiens, en particulier parce qu’une compréhension de ce chapitre de l’histoire apporte un éclairage révélateur sur la désagrégation violente de la Yougoslavie communiste 45 ans plus tard. Une meilleure compréhension du sort des Allemands ethniques de la Yougoslavie devrait encourager le scepticisme concernant l’application loyale et juste de la loi internationale dans la pratique. Pourquoi les souffrances et le triste sort de certaines nations ou de certains groupes ethniques sont-ils ignorés, alors que les souffrances d’autres nations et groupes reçoivent l’attention entière et sympathique des médias et des politiciens ?

Au début de la Seconde guerre mondiale en 1939, plus d’un million et demi d’Allemands ethniques vivaient dans l’Europe du Sud-est, c’est-à-dire en Yougoslavie, en Hongrie, et en Roumanie. Parce qu’ils vivaient surtout près et au long du fleuve Danube, ces gens étaient connus sous le nom populaire de « Souabes du Danube » ou Donauschwaben. La plupart étaient les descendants des colons qui vinrent dans cette région fertile aux XVIIe et XVIIIe siècles à la suite de la libération de la Hongrie du règne turc.

Pendant des siècles, le Saint Empire Romain et ensuite l’Empire des Habsbourg luttèrent contre la domination turque dans les Balkans, et résistèrent à l’« islamisation » de l’Europe. Dans cette lutte, les Allemands du Danube étaient vus comme un rempart de la civilisation occidentale, et étaient tenus en haute estime dans l’empire autrichien (et plus tard, austro-hongrois) à cause de leur productivité agricole et de leurs prouesses militaires. Mais le Saint Empire Romain et l’empire des Habsbourg étaient des entités multiculturelles et multinationales, dans lesquelles des groupes ethniques divers vécurent pendant des siècles dans une harmonie relative.

Après la fin de la Première guerre mondiale, en 1918, qui provoqua l’effondrement de l’empire austro-hongrois des Habsbourg, et après le traité de Versailles imposé en 1919, le statut juridique des Donauschwaben allemands devint flottant. Quand le régime national-socialiste fut établi en Allemagne en 1933, les Donauschwaben étaient parmi les plus de douze millions d’Allemands ethniques qui vivaient en Europe centrale et orientale en-dehors des frontières du Reich allemand. Beaucoup de ces gens furent inclus dans le Reich avec l’incorporation de l’Autriche et de la région des Sudètes en 1938, de la Tchécoslovaquie en 1939, et de portions de la Pologne à la fin de 1939. La « question allemande », c’est-à-dire la lutte pour l’autodétermination des Allemands ethniques en-dehors des frontières du Reich allemand, fut un facteur majeur dans l’éclatement de la Seconde guerre mondiale. Même après 1939, plus de trois millions d’Allemands ethniques restèrent en-dehors des frontières du Reich élargi, notamment en Roumanie, en Yougoslavie, en Hongrie et en Union Soviétique.

Dans la première Yougoslavie – un Etat monarchique créé en 1919 en résultat des efforts des puissances alliées victorieuses –, la plupart des Allemands ethniques du pays étaient concentrés dans l’est de la Croatie et dans le nord de la Serbie (notamment dans la région de Voïvodine), avec quelques villes et villages allemands en Slovénie. D’autres Allemands ethniques vivaient dans l’ouest de la Roumanie et le sud-est de la Hongrie.

Le premier Etat yougoslave multiethnique de 1919-1941 avait une population de quelque 14 millions de gens de diverses cultures et religions. A la veille de la Seconde guerre mondiale, il incluait près de six millions de Serbes, environ trois millions de Croates, plus d’un million de Slovènes, quelque deux millions de Bosniaques musulmans et d’Albanais ethniques, approximativement un demi-million d’Allemands ethniques, et un autre demi-million de Hongrois ethniques. Après l’effondrement de la Yougoslavie en avril 1941, accéléré par une rapide avance militaire allemande, approximativement 200.000 Allemands ethniques devinrent citoyens de l’Etat Indépendant de Croatie nouvellement établi, un pays dont les autorités militaires et civiles restèrent loyalement alliées à l’Allemagne du Troisième Reich jusqu’à la dernière semaine de la guerre en Europe.3 La plupart des Allemands ethniques restants de l’ancienne Yougoslavie – approximativement 300.000 dans la région de Voïvodine – entrèrent dans la juridiction de la Hongrie, qui incorpora cette région pendant la guerre (après 1945 cette région fut rattachée à la partie serbe de la Yougoslavie).

Le sort des Allemands ethniques devint sinistre pendant les derniers mois de la Seconde guerre mondiale, et spécialement après la fondation de la seconde Yougoslavie, un Etat communiste multiethnique dirigé par le maréchal Josip Broz Tito. A la fin d’octobre 1944, les forces de guérilla de Tito, aidées par l’avance soviétique et généreusement assistées par les fournitures aériennes occidentales, prirent le contrôle de Belgrade, la capitale serbe qui servit aussi de capitale pour la Yougoslavie. L’un des premiers actes légaux du nouveau régime fut le décret du 21 novembre 1944, sur « La décision concernant le transfert des biens de l’ennemi dans la propriété de l’Etat ». Il déclarait « ennemis du peuple » les citoyens d’origine allemande, et les privait de droits civiques. Le décret ordonnait aussi la confiscation par le gouvernement de tous les biens, sans compensation, des Allemands ethniques de Yougoslavie.4 Une loi additionnelle, promulguée à Belgrade le 6 février 1945, retira la citoyenneté yougoslave aux Allemands ethniques du pays.5

A la fin de 1944 – alors que les forces communistes avaient pris le contrôle de l’est des Balkans, c’est-à-dire de la Bulgarie, de la Serbie et de la Macédoine – l’Etat de Croatie, allié aux Allemands, tenait encore bon. Cependant, au début de 1945, les troupes allemandes, en même temps que les troupes et les civils croates, commencèrent à faire retraite vers le sud de l’Autriche. Pendant les derniers mois de la guerre, la majorité des civils allemands ethniques de Yougoslavie rejoignirent aussi ce grand trek. La crainte des réfugiés devant la torture et la mort des mains des communistes était bien fondée, étant donné l’horrible traitement appliqué par les forces soviétiques aux Allemands et à d’autres en Prusse orientale et dans d’autres parties de l’Europe de l’Est. A la fin de la guerre en mai 1945, les autorités allemandes avaient évacué 220.000 Allemands ethniques de Yougoslavie vers l’Allemagne et l’Autriche. Pourtant beaucoup restèrent dans leurs patries ancestrales ravagées par la guerre, attendant probablement un miracle.

Après la fin des combats en Europe le 8 mai 1945, plus de 200.000 Allemands ethniques qui étaient restés en arrière en Yougoslavie devinrent effectivement les captifs du nouveau régime communiste. Quelque 63.635 civils allemands ethniques yougoslaves (femmes, hommes et enfants) périrent sous le règne communiste entre 1945 et 1950 – c’est-à-dire environ 18% de la population civile allemande ethnique demeurant encore dans la nouvelle Yougoslavie. La plupart moururent d’épuisement par le travail forcé, par le « nettoyage ethnique », ou de maladie et de malnutrition.6 Une grande partie du crédit pour le « miracle économique » tellement vanté de la Yougoslavie titiste, il faut le noter, doit aller aux dizaines de milliers de travailleurs forcés allemands qui, à la fin des années 1940, aidèrent à reconstruire le pays appauvri.

Les biens des Allemands ethniques de Yougoslavie confisqués après la Seconde guerre mondiale se montaient à 97.490 petits commerces, usines, magasins, fermes et affaires diverses. Les biens immobiliers et terres cultivées confisqués des Allemands ethniques de Yougoslavie se montaient à 637.939 hectares (environ un million d’acres), et devinrent propriété de l’Etat. D’après un calcul de 1982, la valeur des biens confisqués aux Allemands ethniques de Yougoslavie se montait à 15 milliards de marks, ou environ sept milliards de dollars US. En prenant en compte l’inflation, cela correspondrait aujourd’hui à douze milliards de dollars US. De 1948 à 1985, plus de 87.000 Allemands ethniques qui résidaient encore en Yougoslavie s’installèrent en Allemagne et devinrent automatiquement citoyens allemands.7

Tout cela constitua une « solution finale de la question allemande » en Yougoslavie.

De nombreux survivants ont fourni des récits détaillés et illustrés du sort sinistre des civils allemands ethniques, en particulier des femmes et des enfants, qui restèrent captifs en Yougoslavie communiste. Un témoin notable est le défunt père Wendelin Gruber, qui servit de chapelain et de guide spirituel pour de nombreux compagnons de captivité.8 Ces nombreux récits survivants de tortures et de morts infligées aux civils et soldats allemands capturés par les autorités communistes s’ajoutent à la chronique de l’oppression communiste dans le monde.9

Du million et demi d’Allemands ethniques qui vivaient dans le bassin du Danube en 1939-1941, quelque 93.000 servirent durant la Seconde guerre mondiale dans les forces armées de la Hongrie, de la Croatie et de la Roumanie – des pays de l’Axe qui étaient alliés à l’Allemagne – ou dans les forces armées allemandes régulières. Les Allemands ethniques de Hongrie, de Croatie et de Roumanie qui servirent dans les formations militaires de ces pays demeurèrent citoyens de ces Etats respectifs.10

De plus, de nombreux Allemands ethniques de la région danubienne servirent dans la division Waffen-SS « Prinz Eugen », qui totalisa quelque 10.000 hommes pendant son existence durant la guerre (cette formation fut nommée en l’honneur du prince Eugène de Savoie, qui avait remporté de grandes victoires contre les forces turques à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe).11 S’engager dans la division « Prinz Eugen » conférait automatiquement la citoyenneté allemande à la recrue.

Des 26.000 Allemands ethniques danubiens qui perdirent la vie en servant dans diverses formations militaires, la moitié périrent après la fin de la guerre dans des camps yougoslaves. Les pertes de la division « Prinz Eugen » furent particulièrement élevées, le gros de la division se rendant après le 8 mai 1945. Quelque 1.700 de ces prisonniers furent tués dans le village de Brezice près de la frontière croato-slovène, et la moitié restante périt dans le travail forcé dans les mines de zinc de la Yougoslavie près de la ville de Bor, en Serbie.12

En plus du « nettoyage ethnique » des civils et soldats allemands du Danube, quelque 70.000 Allemands qui avaient servi dans les forces régulières de la Wehrmacht périrent en captivité en Yougoslavie. La plupart d’entre eux moururent en résultat de représailles, ou comme travailleurs forcés dans les mines, en construisant des routes, dans des chantiers navals, etc. C’étaient principalement des soldats du « Groupe d’Armées E » qui s’étaient rendus aux autorités militaires britanniques dans le sud de l’Autriche au moment de l’armistice du 8 mai 1945. Les autorités britanniques livrèrent environ 150.000 de ces prisonniers de guerre allemands aux partisans yougoslaves communistes sous prétexte d’un rapatriement ultérieur en Allemagne.

La plupart de ces anciens soldats réguliers de la Wehrmacht périrent dans la Yougoslavie d’après-guerre en trois phases. Pendant la première phase, plus de 7.000 soldats allemands capturés moururent dans les « marches d’expiation » (Suhnemärsche) organisées par les communistes, faisant 1.300 kilomètres depuis la frontière sud de l’Autriche jusqu’à la frontière nord de la Grèce. Pendant la seconde phase, à la fin de l’été 1945, de nombreux soldats allemands en captivité furent sommairement exécutés ou jetés vivants dans des grandes carrières de karst le long de la côte de Dalmatie, en Croatie. Dans la troisième phase, de 1945 à 1955, 50.000 autres périrent comme travailleurs forcés, de malnutrition et d’épuisement.13

Le nombre total des pertes allemandes en captivité yougoslave après la fin de la guerre – incluant les civils et soldats « allemands du Danube » ethniques, ainsi que les Allemands « du Reich » [Reichsdeutsche] – peut donc être estimé au bas mot à 120.000 tués, affamés, tués au travail, ou disparus. Quelle est l’importance de ces chiffres ? Quelles leçons peut-on tirer en faisant état de ces pertes allemandes d’après-guerre ?

Il est important de souligner que le triste sort des civils allemands des Balkans n’est qu’une petite partie de la topographie alliée de la mort. Sept à huit millions d’Allemands – personnel militaire ou civils – moururent pendant et après la Seconde guerre mondiale. La moitié d’entre eux périrent dans les derniers mois de la guerre, ou après la reddition sans conditions de l’Allemagne le 8 mai 1945. Les pertes allemandes, à la fois civiles et militaires, furent sensiblement plus élevées pendant la « paix » que pendant la « guerre ».

Pendant les mois avant et après la fin de la Seconde guerre mondiale, les Allemands ethniques furent tués, torturés et dépossédés dans toute l’Europe orientale et centrale, notamment en Silésie, en Prusse orientale, en Poméranie, dans les Sudètes, et dans la région du « Wartheland ». En tout 12 à 15 millions d’Allemands s’enfuirent ou furent chassés de leurs foyers pendant ce qui est peut-être le plus grand « nettoyage ethnique » de l’histoire. Sur ce nombre, plus de deux millions furent tués ou perdirent la vie d’une autre manière.14

Les tristes événements dans la Yougoslavie d’après-guerre sont rarement abordés par les médias des pays qui émergèrent des ruines de la Yougoslavie communiste, même si, d’une manière remarquable, il y a aujourd’hui dans ces pays une plus grande liberté d’expression et de recherche historique que dans des pays d’Europe occidentale comme l’Allemagne et la France. Les élites de Croatie, de Serbie et de Bosnie, largement composées d’anciens communistes, semblent partager un intérêt commun à refouler leur passé parfois trouble et criminel concernant le traitement des civils allemands dans l’après-guerre.

L’éclatement de la Yougoslavie en 1990-91, les événements qui y conduisirent, et la guerre et les atrocités qui suivirent, ne peuvent être compris que dans un cadre historique plus large. Comme nous l’avons déjà noté, le « nettoyage ethnique » n’a rien de nouveau. Même si l’on considère l’ancien dirigeant serbe yougoslave Slobodan Milosevic et les autres prévenus jugés par le Tribunal International des Crimes de Guerre de La Haye comme de vils criminels, leurs crimes sont très petits comparés à ceux du fondateur de la Yougoslavie communiste, Josip Broz Tito. Tito mena le « nettoyage ethnique » et les tueries de masse sur une bien plus grande échelle, contre les Croates, les Allemands et les Serbes, et avec l’approbation des gouvernements britannique et américains. Son règne en Yougoslavie (1945-1980), qui coïncida avec l’ère de la « Guerre froide », fut généralement soutenu par les puissances occidentales, qui considéraient son régime comme un facteur de stabilité dans cette région souvent instable de l’Europe.15

Le triste sort pendant la guerre et après-guerre des Allemands des Balkans fournit aussi des leçons sur le sort des Etats multiethniques et multiculturels. Le sort des deux Yougoslavies – 1919-1941 et 1944-1991 – souligne la faiblesse inhérente des Etats multiethniques. Deux fois durant le XXe siècle, la Yougoslavie multiculturelle éclata dans un carnage inutile et une spirale de haines entre ses groupes ethniques constituants. On peut affirmer, par conséquent, que pour des nations et des cultures différentes, sans même parler de races différentes, il vaut mieux vivre à part, séparés par des murs, plutôt que prétendre vivre dans une fausse unité cachant des animosités attendant d’exploser, et laissant derrière elles des ressentiments durables.

Peu de gens pouvaient prévoir les sauvages haines et tueries interethniques qui balayèrent les Balkans après l’effondrement de la Yougoslavie en 1991, et ceci entre des peuples d’origine anthropologique relativement similaire, bien qu’ayant des passés culturels différents. On ne peut que s’interroger avec inquiétude sur l’avenir des Etats-Unis et de l’Europe occidentale, où des tensions interraciales croissantes entre les populations natives et les masses d’immigrants du Tiers Monde laissent présager un désastre avec des conséquences bien plus sanglantes.

La Yougoslavie multiculturelle, dans sa première tout comme dans sa seconde incarnation, fut avant tout la création, respectivement, des dirigeants français, britanniques et américains qui réalisèrent le règlement de Versailles en 1919, et des dirigeants britanniques, soviétiques et américains qui se rencontrèrent à Yalta et à Postdam en 1945. Les figures politiques qui créèrent la Yougoslavie ne représentaient pas les nations de la région, et comprenaient très mal les perceptions de soi et les affinités ethnoculturelles des différents peuples de la région.

Bien que les morts, les souffrances et les dépossessions des Allemands ethniques des Balkans pendant et après la Seconde guerre mondiale sont bien documentées par les autorités allemandes et les spécialistes indépendants, elles continuent à être largement ignorées dans les grands médias des Etats-Unis et de l’Europe. Pourquoi ? On peut penser que si ces pertes allemandes étaient plus largement discutées et mieux connues, elles stimuleraient probablement une vision alternative sur la Seconde guerre mondiale, et en fait sur l’histoire du XXe siècle. Une connaissance meilleure et plus répandue des pertes civiles allemandes pendant et après la Seconde guerre mondiale pourrait bien encourager une discussion plus profonde sur la dynamique des sociétés contemporaines. Celle-ci, à son tour, pourrait affecter significativement la perception de soi de millions de gens, obligeant nombre d’entre eux à rejeter des idées et des mythes qui ont été la mode dominante pendant plus d’un demi-siècle. Un débat ouvert sur les causes et les conséquences de la Seconde guerre mondiale ternirait aussi la réputation de nombreux spécialistes et faiseurs d’opinion aux Etats-Unis et en Europe. Il est probable qu’une plus grande connaissance des souffrances des civils allemands pendant et après la Seconde guerre mondiale, et les implications de celle-ci, pourrait fondamentalement changer les politiques des Etats-Unis et d’autres grandes puissances.

Notes

Tomislav Sunic est détenteur d’un doctorat en sciences politiques de l’Université de Californie, Santa Barbara. Il est écrivain, traducteur et ancien professeur de sciences politiques aux USA. Tom Sunic vit actuellement avec sa famille en Croatie. Une interview de lui, « Reexamining Assumptions », a paru dans le numéro de mars-avril 2002 du Journal of Historical Review. Son livre le plus récent est Homo americanus: Child of the Postmodern Age (2007), qui peut être obtenu via Amazon books. Pour plus d’autres articles de lui, voir son site web.

Cet article est une adaptation du discours de M. Sunic le 22 juin 2002, à la 14ème Conférence de l’IHR, à Irvine en Californie.

Link to the original article.


  1. Mads Ole Balling, Von Reval bis Bukarest (Copenhagen: Hermann-Niermann-Stiftung, 1991), vol. I and vol. II. 

  2. L. Barwich, F. Binder, M. Eisele, F. Hoffmann, F. Kühbauch, E. Lung, V. Oberkersch, J. Pertschi, H. Rakusch, M. Reinsprecht, I. Senz, H. Sonnleitner, G. Tscherny, R. Vetter, G. Wildmann, and others, Weissbuch der Deutschen aus Jugoslawien: Erlebnisberichte 1944-48 (Munich: Universitäts Verlag, Donauschwäbische Kulturstiftung, 1992, 1993), vol. I, vol. II. 

  3. Sur les forces armées de la Croatie pendant la Seconde guerre mondiale, et leur destruction après 1945 par les communistes yougoslaves, voir Christophe Dol-beau, Les Forces armées croates, 1941-1945 (Lyon [BP 5005, 69245 Lyon cedex 05, France]: 2002). Sur l’attitude souvent critique des officiels militaires et diplomatiques allemands envers le régime allié oustachi de l’Etat Independent de Croatie (« NDH »), voir Klaus Schmider, Partisanenkrieg in Jugoslawien 1941-1944 (Hamburg: Verlag E.S. Mittler & Sohn, 2002). Ce livre inclut une impressionnante bibliographie, et cite des documents allemands jusqu’ici non-publiés. Malheureusement, l’auteur ne fournit pas de données précises concernant le nombre de soldats allemands (incluant des civils et des soldats croates) qui se rendirent aux forces britanniques dans le sud de l’Autriche, and qui furent ensuite livrés aux autorités communistes yougoslaves. Le nombre de captifs croates qui périrent après 1945 dans la Yougoslavie communiste demeure un sujet chargé d’émotion en Croatie, avec d’importantes implications pour la politique intérieure et étrangère du pays. 

  4. Anton Scherer, Manfred Straka, Kratka povijest podunavskih Nijemaca/ Abriss zur Geschichte der Donauschwaben (Graz: Leopold Stocker Verlag/ Zagreb: Pan Liber, 1999), esp. p. 131; Georg Wildmann, and others, Genocide of the Ethnic Germans in Yugoslavia 1944-1948 (Santa Ana, Calif.: Danube Swabian Association of the USA, 2001), p. 31. 

  5. A. Scherer, M. Straka, Kratka povijest podunavskih Nijemaca/ Abriss zur Geschichte der Donauschwaben (1999), pp. 132-140. 

  6. Georg Wildmann, et al, Verbrechen an den Deutschen in Jugoslawien, 1944-48 (Munich: Donauschwäbische Kulturstiftung, 1998), esp. pp. 312-313. A servi de base au livre en langue anglaise: Georg Wildmann, and others, Genocide of the Ethnic Germans in Yugoslavia 1944-1948 (Santa Ana, Calif.: Danube Swabian Association of the USA, 2001). 

  7. G. Wildmann, and others, Verbrechen an den Deutschen in Jugoslawien, 1944-48, esp. p. 274. 

  8. Wendelin Gruber, In the Claws of the Red Dragon: Ten Years Under Tito's Heel (Toronto: St. Michaelswerk, 1988). Traduit de l’allemand en anglais par Frank Schmidt. En 1993, le père Gruber souffrant exile au Paraguay revint en Croatie pour passer ses dernières années dans un monastère jésuite à Zagreb. Je parlai avec lui peu avant sa mort le 14 août 2002, à l’âge de 89 ans. 

  9. Stéphane Courtois, and others, The Black Book of Communism: Crimes, Terror, Repression (Cambridge: Harvard Univ. Press, 1999). 

  10. G. Wildmann, et al, Verbrechen an den Deutschen in Jugo-slawien, p. 22. 

  11. Armin Preuss, Prinz Eugen: Der edle Ritter (Berlin: Grundlagen Verlag, 1996). 

  12. Otto Kumm, Geschichte der 7. SS-Freiwilligen Gebirgs-Division "Prinz Eugen" (Coburg: Nation Europa, 1995). 

  13. Roland Kaltenegger, Titos Kriegsgefangene: Folterlager, Sühnenmärsche und Schauprozesse (Graz: Leopold Stocker Verlag, 2001). 

  14. Alfred-Maurice de Zayas, Nemesis at Potsdam: The Expulsion of the Germans From the East. (Lincoln: Univ. of Nebraska, 1989 [3rd rev. ed.]); Alfred-Maurice de Zayas, The German Expellees: Victims in War and Peace (New York: St. Martin’s Press, 1993); Alfred-Maurice de Zayas, A Terrible Revenge: The "Ethnic Cleansing" of the East European Germans, 1944-1950 (New York: St. Martin’s Press, 1994); Ralph F. Keeling, Gruesome Harvest: The Allies’ Postwar War Against the German People (Institute for Historical Review, 1992). 

  15. Tomislav Sunic, Titoism and Dissidence: Studies in the History and Dissolution of Communist Yugoslavia (Frankfurt, New York: Peter Lang, 1995) 

"De l'esprit communautaire et communiste à l'étatisme fragile: le drame de l'ex-post-Yougoslavie" (Catholica ~ Hiver 1997-1998, Nr. 93)

Lorsque l'on analyse un pays éclectique comme l'ex-Yougoslavie, on est tenté d'utiliser une méthode éclectique. En 1991, un concours de circonstances diverses et convergentes a provoqué l'éclatement du pays, prélude à la guerre entre les principaux acteurs : Serbes, Croates et Musulmans bosniaques. Lors de l'agression grande-serbe menée par l'armée yougoslave contre la Croatie, et plus tard, lors de la guerre interethnique en Bosnie-Herzégovine, et après les Accords de Dayton, dont l'architecte fut le gouvernement américain en 1995, une multitude d'analyses sur l'origine du conflit ont vu le jour. Les crimes perpétrés par les ex-belligérants ont été décrits et décriés par les médias aux quatre coins du monde. On débat toujours dans les chancelleries occidentales sur le futur scénario militaire et juridique qui s'imposera dans les Balkans, notamment dans le nouveau petit Etat multiethnique de Bosnie-Herzégovine.

Alors que de nombreux comptes rendus médiatiques existent sur les instigateurs du conflit et leur rôle pendant le drame de l'ex-Yougoslavie, peu de choses ont été dues de la perception que chaque groupe ethnique a de lui même et de l'Autre, ainsi que de sa propre conception de l'Etat-nation.1 De plus, dans les milieux diplomatiques et médiatiques, on a relativement peu analysé l'héritage du titisme et l'impact de l'esprit totalitaire qui ont considérablement prolongé la durée de la guerre, et qui subsistent toujours dans les structures mentales de la population post-yougoslave. Dans les nouveaux Etats établis sur les ruines de l'ex-Yougoslavie, les classes politiques aiment utiliser des slogans occidentaux, comme le « marché libre », la « démocratie parlementaire », « l'Etat de droit », etc., bien que, sous ce vernis rhétorique, aucune mutation profonde de la culture politique n'ait eu lieu. Les vieilles habitudes philo-communistes, communautaires, voire clientélistes, ont toujours le dessus.

Dans la perspective internationale, l'éclatement de la Yougoslavie communiste soulève maintenant des questions délicates quant au fonctionnement du multiculturalisme en Europe occidentale et de son moteur principal, l'Union européenne. Dans quelle mesure la convivialité passée entre Serbes et Croates fut-elle réelle ou fictive ? L'Union européenne était-elle, pendant la guerre en ex-Yougoslavie, «balkanisée» à un tel point qu'elle ne pouvait pas trouver une réponse rapide et consensuelle parmi ses Etats membres, et empêcher la guerre de prendre la tournure désastreuse que l'ex-Yougoslavie a subie ? Force est de constater que la guerre en ex-Yougoslavie se prête à des analyses différentes, surtout au départ de disciplines différentes : anthropologie, sociologie, psychologie et droit international. Et chaque discipline, bien entendu, conduit à des conclusions différentes. Suite à un cortège de violence jamais vu en Europe depuis 1945, les pays de la post-Yougoslavie risquent de mettre en cause l'idéologie du mondialisme et du multiculturalisme de l'Union européenne. Celle-ci serait-elle capable d'endiguer l'implosion intra-ethnique, si cette implosion a jamais lieu quelque part ailleurs en Europe ? Sans nul doute, une guerre entre le Danemark et l’Allemagne fédérale au sujet de la région frontalière du Schleswig-Holstein, ou une guerre entre l'Allemagne fédérale et la France au sujet de l'Alsace, relève du fantasme politique. Par contre, une guerre larvée et intercommunautaire entre bandes turques vivant en Allemagne et bandes de jeunes Allemands de souche, avec des retombées juridiques dans toute l'Europe, ne relève plus d'un scénario de science fiction.2

A propos de la guerre en ex-Yougoslavie, on peut d'ores et déjà conclure : des conflits similaires, quoique sous une autre forme juridique, risquent de se produire ailleurs en Europe, soit au niveau interethnique soit au niveau intra-ethnique.

L'héritage du titisme a joué un rôle important dans le conflit ex-yougoslave. Donc, une deuxième hypothèse de travail s'impose, à savoir que la guerre en ex-Yougoslavie n'était pas seulement menée par les anciennes élites communistes de Croatie, Slovénie, Serbie et Bosnie-Herzégovine, mais également par les citoyens yougoslaves « communisés », avec leurs liens tribaux et communautaires distincts, tellement typiques pour les pays des Balkans. Il demeure que les peuples, dans la péninsule balkanique, ont été historiquement marqués par un sens faible de l'ethnocentricité par rapport à l'Europe occidentale où le sens de l'étatisme reste assez fort. En fait, au sein de chaque groupe ethnique dans les Balkans, on aperçoit des liens communautaires clos, souvent antagonistes à l'égard d'une autre communauté voisine du même groupe ethnique. Le sens de l'Etat-nation, accepté comme normal par les citoyens dans les pays occidentaux, l'attachement au terroir délimité, et l'affiliation religieuse précèdent toute notion d'Etat-nation.3 Au cours du conflit précédent, il n'était pas insolite d'observer en Bosnie-Herzégovine des combats entre Croates catholiques et Serbes chrétiens-orthodoxes, les deux protagonistes utilisant leur religion respective non dans des intentions théologiques, mais avant tout comme vecteur politico-culturel mettant davantage en relief leurs différences réciproques et donnant une plus-value à la haine de l'Autre - bien qu'aux yeux des observateurs étrangers Serbes et Croates présentent de frappantes similarités anthropologiques et linguistiques.

Certes, au début du conflit, pour beaucoup de citoyens croates, surtout ceux qui vivent dans une Croatie plus ou moins ethniquement homogène, la guerre fut vécue comme une agression serbo-communiste. Mais comment expliquer le conflit en Bosnie-Herzégovine, où les clivages communautaires au sein des trois groupes ethniques sont tellement prononcés, au point d'aboutir souvent à d'étranges alliance supra et intra-communautaires avec d'autres communautés au sein d'autres groupes ethniques ? L'esprit de l'enracinement local, à savoir le « patriotisme local », précède souvent toute identité nationale en quête d'Etat. Ainsi, la guerre en Bosnie donna souvent naissance à des alliances bizarres, notamment quand les Serbes de la région croate occupée, connue sous le nom de « Krajina », avaient pris la partie des Musulmans rebelles du nord-ouest de la Bosnie limitrophe, qui s’opposait ouvertement au gouvernement plus « urbain » bosno-musulman de Sarajevo. Pendant les accrochages violents entre Croates et Musulmans au sud de la Bosnie, notamment dans la région limitrophe de l'Herzégovine, et aux alentours de la ville de Mostar, les Serbes « louaient » leurs services militaires aux Musulmans bosniaques assiégés par les Croates, tout en pilonnant en même temps la ville de Sarajevo, site du gouvernement bosniaque-musulman.4

Pour essayer de comprendre à fond le drame post-yougoslave, on ne saurait oublier l'héritage du titisme. Rappelons que le communisme dans toute l'Europe orientale fut imposé en 1945 par les chars russes. Seule la Yougoslavie titiste a engendré un phénomène communiste sui generis, imposé et façonné par les titistes vainqueurs reste faible. A l'exception des peuples slovènes et croates, qui font partie de l'hémisphère occidental, le reste de la population ex-yougoslave continue à vivre dans des structures sociales, où le bon voisinage, (« komsiluk ») de la deuxième guerre mondiale. Après la rupture avec Staline en 1948, et avant son propre éclatement en 1991, la Yougoslavie de Tito se targuait d'être le pays communiste le plus libéral au monde. Le maréchal Tito avait bien réussi à tenir les peuples disparates sous une férule unitaire non seulement par la poigne totalitaire, mais également en dressant les nationalistes de chaque groupe ethnique contre les autres groupes ethniques avoisinants, et en punissant tour à tour les dissidents de chaque république fédérée. Il est peu probable que son laboratoire multiculturel ait pu survivre sans son habile tactique de « diviser pour régner ».5 Par ailleurs, Tito jouissait du soutien real-politique des chancelleries occidentales qui avaient leurs propres intérêts géopolitiques dans la région, et qui ne voulaient nullement voir la Yougoslavie disparaître de la face du monde. En se fiant à sa propre langue de bois du « socialisme à visage humain », en ouvrant les frontières yougoslaves pour se débarrasser de dissidents potentiels, Tito devint rapidement objet dune véritable admiration dans les milieux intellectuels européens. On ne fit que peu mention, même après sa mort, de la répression en Yougoslavie communiste et post-titiste qui n'a pourtant pas eu de cesse. Dans les dernières années da sa vie surréelle, la Yougoslavie disposait d'un vaste réseau de police secrète (l'UDBA) à l'étranger, qui opérait par ses filières de journalistes et de diplomates dans les milieux d'émigrés yougoslaves, surtout parmi les Croates exilés. Même pendant la « perestroïka » gorbatchévienne, la Yougoslavie battait les records en prisonniers politiques, dont le nombre s'élevait à huit cents personnes, en majorité des Albanais et des Croates de Bosnie. Or la gloire médiatique acquise par le titisme grâce à son idée d'autogestion en économie, couplée, en outre, aux crédits des financiers occidentaux, et suivie par sept millions de ressortissants yougoslaves munis de passeports, faisait croire que la Yougoslavie était bel et bien un modèle socialiste valable dont les lendemains chanteraient.6

Afin de démythifier l'aberration géopolitique et la fiction juridique que fut l'ex-Yougoslavie, qui devait tôt ou tard mener à la guerre que l'on a connue, il convient de se pencher sur le profil du mental yougo-titiste. Quarante-cinq ans d'expérimentations sociales, allant de l'autogestion au non-alignement tous azimuts en politique étrangère, ont créé un manque d'initiative, un mental d'assisté et un effacement d'identité nationale chez de nombreux citoyens yougoslaves. Tito avait failli créer un climat de tolérance et acheminer les intellectuels croates et serbes vers un dialogue franc. En manipulant par ses hagiographes la mémoire historique des Serbes et des Croates, il n'a fait que renforcer les ressentiments de tous contre tous. Force est de constater que l'historiographie officielle de l'ex-Yougoslavie était fondée sur des chiffres douteux exagérant davantage la victimologie partisane-communiste, tout en démonisant chaque aspect de l'identité nationale des peuples constitutifs de la Yougoslavie. Ainsi les deux peuples pivots de l'ex-Yougoslavie, les Serbes et les Croates, avaient des raisons supplémentaires de se soupçonner du favoritisme titiste. De plus, la victimologie titiste officielle s'accommodait mal avec les récits nationalistes des Serbes et des Croates où chaque peuple s'estimait victime de l'Autre et où chacun voyait dans l'Autre l'incarnation du mal. Les Croates avaient tendance à voir les Serbes comme des " barbares " et des " tsiganes " larvés : en revanche, les Serbes, qui étaient représentés dans l'appareil administratif yougoslave dune manière disproportionnée, voyaient dans chaque manifestation croate le spectre de « l'oustachisme » et du « fascisme croate » appuyé par les papistes du Vatican. La spirale de la violence physique qui avait vu le jour après l'éclatement du pays en 1991, ne fut donc qu'une logique du pire qui avait connu ses premières manifestations dans les années titistes.7

La guerre s'est terminée en ex-Yougoslavie, mais le mental yougoslave de l'homo balcanicus est bel et bien vivant, ce qui rend encore plus difficile tout pronostic pour l'avenir des nouveaux pays de la région. Certes, en tant qu'idéologie est mort. Pourtant, on n'observe aucun changement dans les mœurs politiques et sociales, ni dans la nouvelle classe politique, ni chez les citoyens désabusés. A l'instar des autres pays postcommunistes, les nouvelles élites programmatrice, le communisme titiste politiques et leurs concitoyens souffrent d'un manque d'identité et dune grande peur face à l'avenir libéral. L'homo sovieticus est toujours là avec son homologue, l'homo balcanicus, et tous deux se portent bien, quoiqu'ayant recours, cette fois-ci, à une nouvelle langue de bois, en l'occurrence celle empruntée à l'idéologie du globalisme et du mondialisme ambiant. Bref, en dépit de la débâcle du communisme, l'héritage psychologique de la pensée unique communiste, bien que recouvert d'une piètre imitation du démocratisme occidental, règne en force dans toute Europe postcommuniste. Dans les pays post-yougoslaves, après la guerre dont les retombées juridiques et psychologiques commencent à se faire sentir, on témoigne aujourd'hui d'un esprit paléo-totalitaire, à savoir d'une résurgence de la « yougo-nostalgie » pour le bon vieux temps. Et pourquoi pas ? L'économie communiste planifiée garantissait paradoxalement une paresse facile et une sécurité psychologique, ce qui n’est pas aujourd'hui le cas avec le darwinisme économique du système libéral.8 Si l'on ajoute au mental titiste le vide idéologique qui règne dans toute l'Europe occidentale et qui s'accompagne de la mondialisation capitaliste, on ne saurait exclure des troubles sociaux autrement plus graves que ceux auxquels on a assisté jusqu'ici. Certes, le nouveau discours « politically correct », adopté par l'ancienne intelligentsia pro-yougoslave en Occident, a cessé d'emprunter aux slogans titistes et soixante-huitards ; c'est le sabir antiraciste, I'apologie d'une tolérance mondialiste qu'on prêche maintenant aux citoyens post-yougoslaves. En l'occurrence chaque faux pas d'une petite nation « post-versaillaise », comme la Croatie, se solde vite par une condamnation médiatique renvoyant au référent éternel du « fascisme oustachiste ».9 Alors que le système yougo-communiste a, paradoxalement, réussi à renforcer les liens communautaires dans les différentes couches sociales en ex-Yougoslavie, le globalisme est en train de les détruire plus démocratiquement, et sans laisser de traces de sang.

Toute démocratie parlementaire, comme les citoyens occidentaux le savent fort bien, exige la tolérance de l'Autre. Mais comment réconcilier les gens des ex-pays communistes, notamment de l'ex-Yougoslavie dont un grand nombre a collaboré avec le communisme, et dont un autre grand nombre a été persécuté pour ses idées nationalistes ou antiyougoslaves par ceux qui réalisent aujourd'hui leur recyclage politique et par ceux-là mêmes qui exercent aujourd'hui un pouvoir politique non négligeable ? Dans le cas de I'ex-Yougoslavie, comment juger les prétendus criminels de guerre ? Parmi ceux qui ont récemment commis des exactions contre les civils bosniaques, ou bien parmi ceux qui ont participé du côté des titistes en 1945 et en 1946, à de vastes nettoyages ethniques contre les Croates, les Hongrois et les Allemands?10 L'ironie de l'histoire veut que même au Tribunal international de La Haye, on rencontre quelques Serbes et Croates soupçonnés d'avoir commis des crimes de guerre dont les avocats de défense sont d'anciens procureurs et sympathisants titistes.

La guerre récente en ex-Yougoslavie avait fort préoccupé les citoyens dont le souci majeur était de survivre et de conserver leur niveau de vie plus ou moins élevé. On se souciait peu d'apprendre les vertus démocratiques occidentales et de réexaminer la mémoire officielle de la Seconde Guerre mondiale qui avait profondément divisé la population ex-yougoslave. Cela semble vrai pour tous les citoyens de l'Europe postcommuniste, et surtout pour ceux de la post-Yougoslavie dont beaucoup étaient impliqués dans le système totalitaire. Aujourd'hui, on voit se profiler dans les nouveaux Etats post-yougoslaves un mimétisme quasi pathologique par lequel la nouvelle classe politique veut prouver aux Occidentaux qu'elle connaît davantage la démocratie parlementaire que les Occidentaux eux-mêmes, et que son passé obscur peut être supplanté par une surenchère dans le discours démocratique. Or, l'oblitération de la pensée libre due au passé communiste, ne saurait être dissimulée derrière de belles paroles prêchant l'Etat de droit et le marché libre. On ne peut pas installer la démocratie dans les nouveaux pays de la région par un oukase de Bruxelles ou par un décret venu des Etats-Unis.

Pour saisir le drame postcommuniste en ex-post-Yougoslavie, on ne saurait utiliser les paradigmes sociologiques venus d'Occident.11 En raison de la sélection sociobiologique négative que le communisme avait créée en ex-Yougoslavie, une dévastation psychologique totale où le surréel l'a emporté sur le réel a eu lieu bloquant toute circulation des élites capables de gouverner. L'esprit de clan, l'enracinement dans son voisinage proche avait paradoxalement trouvé sa pleine expression dans le système titiste qui fonctionnait à l'époque comme seul vestige contre l'atomisation globaliste et capitaliste. D'où cet appétit aujourd'hui perceptible chez les citoyens post-yougoslaves pour l'homme fort, capable de guider, capable de mimer l'Occident, tout en sauvegardant l'esprit de la communauté originale. I1 serait donc incorrect de blâmer tel ou tel leader post-yougoslave pour telle ou telle dérive autoritaire, comme le font certains journalistes occidentaux. Face au nivellement du marché libre, face au passé communiste, la grande masse des citoyens désabusés ne sait plus à qui se référer, et à quelles idées se fier. Les citoyens de la post-Yougoslavie aiment traditionnellement l'homme fort, quelqu'un qui soit capable de prendre des responsabilités à leur place, et surtout dans un monde vidé de tout sacré. Faute de modèle à l'horizon politique, suite au grand flux dans le cadre de la nouvelle administration politique, on a recours à la vieille duplicité de l’homo sovieticus, tout en recherchant refuge dans ses liens communautaires de bon voisinage (« komsiluk »). De plus, l'impitoyable géographie des Balkans, dont les frontières restent toujours mouvantes en permanence, empêche les gens de s'identifier à toute idée d'un Etat solide. Force est de constater que c'est souvent au hasard et par défaut, qu'on devient Croate, Serbe - et demain, peut-être, un bon Européen...

Notes


  1. Joseph Krulic, « Les Croates, les Musulmans bosniaques, les Serbes et la question de l'Etat-nation, Nations et nationalismes, La Découverte, 1995, pp. 108-113. 

  2. "Zeitbomben in den Vorstädten" [Une bombe à retardement dans la banlieue], Der Spiegel, 14 avril 1997. 

  3. Michael W. Weithmann, Balkan-Chronïk. 2000 Jahre zwischen Orient and Okzident [Chronique sur les Balkans. 2000 ans entre Orient et Occident], Verlag F. Pustet, 1995. 

  4. Xavier Bougarel, Bosnïe ; Anatomie d'un conflit, La Découverte, 1996, p. 63. 

  5. Tomislav Sunic, Titoism and Dissidence; Studies in the History and Dissolution of Communist Yugoslavia, Peter Lang, 1995. 

  6. « Ein Spinnetz totaler Überwachung » [Un réseau de surveillance complet], Der Spiegel, 12 mars 1984. 

  7. Franjo Tudjman, Nationalism in Contemporary Europe, Columbia University Press, 1981, pp. 162-163. Sur l' "historicisme" et les divers mythes antifascistes a yougoslaves, voir Franjo Tudjman, Velike ideje i mali narodi, Matica Hrvatska, 1996, pp. 313-328. 

  8. Claude Polin, Le totalitarisme, PUF, 1982, p. 89. 

  9. A.M. Rosenthal, « Why Wink at Croatian Fascism? » The International Herald Tribune, 16 avril 1997, et ma réponse dans The International Herald Tribune (Letters to the Editor), "Croatia, Then and Now," 18 avril 1997. 

  10. Josef Beer, Weïssbuch der Deutschen aus Jugoslawien. Ortsberichte 1944-1948 [Livre blanc des Allemands de Yougoslavie], Universitas Verlag, 1992. 

  11. Alexander Sinowjew (Zinoviev), Die Diktatur der Logik [La dictature de la logique] Piper Verlag, 1985, p. 148. 

La Grande Europe et terrorisme intellectuel (Rivarol ~ le 16 Mai 2003)

C'est le 16 avril, après le oui triomphal (83,8 %) des Hongrois à l'Union, qu'a été "couronnée" à Athènes l'Europe de 25, sanctionnée par un traité de 5 000 pages qu'ont signé pour la France Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin avec la bénédiction de Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU, sous l'égide de laquelle s'inscrit donc la "Nouvelle Europe". Un parrainage assez inquiétant, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression. La police de la pensée est difficile à repérer car elle se cache souvent sous les concepts rassurants de "démocratie" et "droits de l'homme." Si les Quinze exhibent volontiers les beautés de leurs paragraphes constitutionnels, ils admettent rarement les ambiguïtés de leur Code pénal. Et c'est dans une grande discrétion que l'an dernier, la Commission européenne avait tenu a Bruxelles, et à Strasbourg des réunions d'une importance historique sur l'avenir de la libre parole.

Sujet de discussion? La promulgation de la nouvelle législation européenne instituant le "crime de haine" et appelée à se substituer aux législations nationales pour devenir automatiquement la loi dans tous les Etats européens, de la Grèce à la Belgique, du Danemark au Portugal. Si bien que toute personne poursuivie pour "crime de haine" dans tel pays de l'Union pourra être jugée et condamnée dans tel autre.

Rétrospectivement, cette loi supranationale apparaît inspirée du code criminel communiste de la défunte Union soviétique ou de l'ex-Yougoslavie communiste, lequel a recouru pendant des décennies à un métalangage irréel, surtout dans les paragraphes portant sur "la propagande hostile" (Code criminel, Article 133). Une telle abstraction sémantique pouvait s'appliquer à tout dissident - qu'il se soit livré à des violences physiques contre l'Etat yougoslave ou qu'il ait simplement proféré quelque blague.

Pour l'instant, le Royaume-Uni témoigne du degré le plus élevé des libertés civiles en Europe, l'Allemagne le plus bas. Le Parlement britannique a récemment rejeté le principe "de crime de haine", proposé par divers groupes de pression - ce qui n'empêche pas que outre-Manche, des allogènes poursuivis par des "de souche" aient bénéficié d'un non-lieu, les juges hésitant à prononcer des peines sévères de crainte d'être accusés eux-mêmes de cultiver un " préjugé racial ". Ainsi, indépendamment du manque de censure en Grande-Bretagne, un certain degré d'autocensure existe, que la loi proposée par l'UE entérinera donc.

Depuis 1994, l'Allemagne, le Canada et l'Australie ont renforcé leur législation contre les déviants, révisionnistes et nationalistes en particulier. Plusieurs centaines de citoyens allemands, y compris un certain nombre d'intellectuels, ont été accusés d'incitation à la haine raciale ou de " négation de l'Holocauste ", cela sur la base d'un néologisme bizarre et néo- totalitaire relevant de l'article 130 ("Volkshetze" : incitation aux ressentiments populaires).

Vue le caractère alambiqué des articles, il devient facile de mettre n'importe quel journaliste ou professeur en mauvaise posture s'il ose s'éloigner du credo sur l'histoire contemporaine ou critiquer le nombre élevé d'immigrés extra-européens. En Allemagne, par exemple, contrairement à l'Angleterre et à l'Amérique, il y a une longue tradition légale d'après laquelle ce qui n'est pas explicitement permis est interdit. En Amérique et en Angleterre, la pratique légale présuppose que ce qui n'est pas spécifiquement interdit est permis. C'est la raison pour laquelle l'Allemagne a adopté des lois rigoureuses contre le " négationnisme ". En 2002, lors de sa visite en Allemagne, l'historien américain d'origine juive, Norman Finkelstein a suggéré à la classe politique allemande de cesser d'être la "victime délibérée " des groupes de pression "de l'industrie de l'holocauste" (titre de son essai tant controversé). Il a également fait remarquer que l'attitude servile des Allemands pourrait être totalement contre-productive en favorisant un antisémitisme aujourd'hui bien caché. Mais personne n'a su réagir positivement aux avertissements de Finkelstein, de peur d'être dénoncé comme antisémite. A l'inverse, le gouvernement allemand a accepté pour la énième fois de verser 5 milliards d'euros supplémentaires aux 800 000 survivants de la Shoah.

Quand on interdit la discussion de matières taboues, le climat de lâcheté intellectuelle s'alourdit. Une nation empêchant la libre parole et l'expression libre de vues politiques diverses - même si ces vues peuvent paraître aberrantes - peut-elle être encore appelée démocratique ? Bien que les Etats-Unis se targuent de leur "First Amendement ", le discours libre dans les média et dans les universités y est pratiquement impossible. L'autocensure didactique l'emporte. Souvent les professeurs américains évitent les expressions ou avis politiquement incorrects, redoutant de compromettre leur carrière. Une pratique croissante en Amérique veut que les professeurs donnent de bonnes notes à des médiocres étudiants de souche non européenne, afin d'éviter des ennuis judiciaires, ou pis, de perdre leur travail.

En France, depuis la loi Fabius-Gayssot, proposée par un député communiste et adoptée en juillet 1990 (puis aggravée à l'initiative du député chiraquien Pierre Lellouche en décembre 2002), toute personne exprimant en public un doute au sujet de l'historiographie contemporaine risque de sérieuses amendes et même l'emprisonnement. Un certain nombre d'auteurs et de journalistes français, allemands et autrichiens sont persécutés, pourchassés, emprisonnés, d'autres ont demandé l'asile politique en Syrie, en Suède ou en Amérique. Quelques-uns se sont même installés dans les pays de l'Est. Des mesures répressives semblables ont été récemment décrétées en Australie, au Canada et en Belgique multiculturelle. Plusieurs dirigeants nationalistes est-européens, en particulier croates, souhaitant rendre visite à leurs compatriotes expatriés au Canada ou en Australie n'ont pas obtenu le visa pour ces pays en raison de leurs prétendues vues "extrémistes ".

Pour l'instant la Russie et d'autres pays ex-post-communistes ne pratiquent pas la même répression de la pensée libre et l'on voit dans les libraires croates des traductions d'ouvrages français ou allemands impubliables en France ou en Allemagne. Mais en raison de la pression croissante de Bruxelles et de Washington, cela va changer. L'adhésion à l'Union européenne des anciens satellites requiert de ces derniers un alignement sur la pensée unique et l'apprentissage d'une nouvelle langue de bois aussi redoutable que celle de l'époque communiste.

Croire que la terreur d'Etat, c'est-à-dire le totalitarisme, ne peut qu'être le produit d'une idéologie violente véhiculée par une poignée de bandits, est fort répandu et l'on a beaucoup entendu cet argument récemment à propos de l'Irak. Mais cette idée est fausse. La démocratie triomphante aussi, qui pousse à l'abdication intellectuelle dans le grand consensus mou, constitue une tentation totalitaire. Le terrorisme intellectuel grandit et se propage grâce à la croyance généralisée que, d'une façon ou d'une autre, les choses finiront par s'améliorer toutes seules. Or, l'apathie sociale croissante et l'autocensure galopante parmi un nombre croissant d'intellectuels européens apportent de l'eau au moulin de la police de la pensée. Au fond, comme l'écrit Claude Polin, l'esprit totalitaire est l'absence de tout esprit.

Ce texte qui nous a été transmis par monsieur Tomislav Sunic a précédemment été publié en français dans le numéro du 16 mai 2003 de l'hebdomadaire Rivarol.

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Le langage «politiquement correct»: Genèse d'un emprisonnement (Catholica ~ Été 2006, Nr. 92 )

Nous avons rencontré lors de son dernier séjour en France M. Tomislav Sunic, diplomate croate mais aussi écrivain, traducteur et ancien professeur de sciences politiques aux Etats-Unis. Fortement impressionné par le fait que la liberté d'expression se trouve paradoxalement plus grande dans les pays anciennement sous domination soviétique qu'à l'Ouest du continent, il nous a proposé le texte qui suit, qui met l'accent sur une des données généralement sous-estimée du conformisme régnant, à côté de l'héritage communiste et de la mentalité de « surveillance » héritée des riches heures du jacobinisme. Ce texte a été rédigé par l'auteur directement en français. Par «politiquement correct » on entend l'euphémisme actuellement le plus passe-partout derrière lequel se cache la censure et l'autocensure intellectuelle. Si le vocable lui-même n'émerge que dans l'Amérique des années 1980, les racines moralisatrices de ce phénomène à la fois linguistique et politique sont à situer dans la Nouvelle Angleterre puritaine du XVIIe siècle. Cette expression polysémique constitue donc la version moderne du langage puritain, avec son enrobage vétérotestamentaire. Bien qu'elle ne figure pas dans le langage juridique des pays occidentaux, sa portée réelle dans le monde politique et médiatique actuel est considérable. De prime abord, l'étymologie des termes qui la forment ne suggère nullement la menace d'une répression judicaire oud les ennuis académiques. L'expression est plutôt censée porter sur le respect de certains lieux communs postmodernes tels que le multiculturalisme ou une certaine historiographie, considérés comme impératifs dans la communication intellectuelle d'aujourd'hui. En règle générale, et dans la langue française, prononcer l'expression "politiquement correct" déclenche souvent le processus d'association cognitive et fait penser aux expressions tels que "la police de la pensée," "la langue de bois" et "la pensée unique". Or si ces dernières notions ont ailleurs qu'en France, en Europe comme en Amérique, des équivalents, ceux- ci n'y possèdent pas sur le plan lexical la même porte émotive. Ainsi par exemple, lorsque les Allemands veulent designer le langage communiste, ils parlent de "Betonsprache" ("langue de béton"), mais la connotation censoriale de la locution française "langue de bois" n'y est pas rendue. Quant à la "pensée unique," elle reste sans équivalant hors du français, étant intraduisible en anglais ou en allemand ; seule le vocable slave "jednoumlje" - terme en vogue chez les journalistes et écrivains russes, croates ou chèques - possède la même signification.1 En comparaison de l'Europe, les Etats-Unis, bien qu'étant un pays fort sécularisé, restent néanmoins très marqués par de « grands récits » moralistes issus de la Bible ; aucun autre pays sur terre n'a connu un tel degré d'hypermoralisme parabiblique, dans lequel Arnold Gehlen voit « une nouvelle religion humanitaire ».2 Cependant après la deuxième guerre mondiale, le langage puritain a subi une mutation profonde au contact du langage marxiste en usage en Europe, véhiculé par les intellectuels de l'Ecole de Francfort, ou inspirés par eux, réfugiés aux Etats-Unis et plus tard installés dans les grandes écoles et universités occidentales. Ce sont eux qui après la guerre ont commencé à agir dans les médias et dans l'éducation en Europe, et qui ont joué un rôle décisif dans l'établissement de la pensée unique. C'est donc de la conjonction entre l'hypermoralisme américain et les idées freudo-marxistes issues de ce milieu qu'est né le phénomène actuel du politiquement correct. On sait que les Etats-Unis n'ont jamais eu comme seule raison la conquête militaire, mais ont cultivé le désir d'apporter aux mal-pensants, qu'ils fussent indiens, nazis, communistes, et aujourd'hui islamistes, l'heureux message du démocratisme à la mode américaine, même avec l'accompagnement du bombardement massif des populations civiles. Cet objectif s'est largement réalisé vers la fin de la deuxième guerre mondiale, quand l'Amérique, comme principale grande puissance, s'installa dans son rôle de rééducatrice de la vieille Europe. Et dans les années ultérieures, le lexique américain, dans sa version soft et libéralo-puritaine, jouera même un rôle beaucoup plus fort par le biais des médias occidentaux que la langue de bois utilisée par les communistes est-européens et leurs sympathisants. Au vingtième siècle cependant, l'héritage calviniste a perdu son contenu théologique pour se transformer en un moralisme pur et dur prônant l'évangile libéral des droits de l'homme et le multiculturalisme universel.

Dès la fin des hostilités, un grand nombre d'agents engagés par le gouvernement du président Harry Truman furent donc envoyés en Europe afin de rectifier les esprits, et notamment les tendances autoritaires supposées inhérentes au modèle familial européen. Parmi ces pédagogues figuraient un certain nombre d'intellectuels américains issus de la WASP et imprégnés d'esprit prédicateur, mais aussi des éléments de tendance marxiste dont les activités s'inscrivaient dans le sillage de l'Ecole de Francfort. Pour les uns et les autres, guérir les Allemands, et par extension tous les Européens, de leurs maux totalitaires fut le but principal.3 Tous se croyaient choisis par la providence divine - ou le déterminisme historique marxiste - pour apporter la bonne nouvelle démocratique à une Europe considérée comme une région à demi-sauvage semblable au Wilderness de l'Ouest américain du passé. Le rôle le plus important fut néanmoins joué par l'Ecole de Francfort, dont les deux chefs de file, Theodor Adorno et Max Horkheimer, avaient déjà jeté les bases d'une nouvelle notion de la décence politique. Dans un ouvrage important qu'il dirigea,4 Adorno donnait la typologie des différents caractères autoritaires, et introduisait les nouveaux concepts du langage politique. Il s'attaquait surtout aux faux démocrates et « pseudo conservateurs » et dénonçait leur tendance à cacher leur antisémitisme derrière les paroles démocratiques.5 D'après les rééducateurs américains, « la petite bourgeoisie allemande avait toujours montré son caractère sadomasochiste, marqué par la vénération de l'homme fort, la haine contre le faible, l'étroitesse de cœur, la mesquinerie, une parcimonie frisant l'avarice (dans les sentiments aussi bien que dans les affaires d'argent) ».6 Dans les décennies qui suivirent, le seul fait d'exprimer un certain scepticisme envers la démocratie parlementaire pourra être assimilé au néonazisme et faire perdre ainsi le droit à la liberté de parole. Lorsque le gouvernement militaire américain mit en ouvre la dénazification,7 il employa une méthode policière de ce genre dans le domaine des lettres et de l'éducation allemande. Mais cette démarche de la part de ses nouveaux pédagogues n'a fait que contribuer à la montée rapide de l'hégémonie culturelle de la gauche marxiste en Europe. Des milliers de livres furent écartés des bibliothèques allemandes ; des milliers d'objets d'art jugés dangereux, s'ils n'avaient pas été détruits au préalable au cours des bombardements alliés, furent envoyés aux Etats-Unis et en Union soviétique. Les principes démocratiques de la liberté de parole ne furent guère appliqués aux Allemands puisqu'ils étaient en somme stigmatisés comme ennemis de classe de la démocratie. Particulièrement dur fut le traitement réservé aux professeurs et aux académiciens. Puisque l'Allemagne national-socialiste avait joui du soutien (bien que souvent momentané) de ces derniers, les autorités américaines de rééducation à peine installées se mirent à sonder les auteurs, les enseignants, les journalistes et les cinéastes afin de connaître leurs orientations politiques. Elles étaient persuadées que les universités et autres lieux de hautes études pourraient toujours se transformer en centres de révoltes. Pour elles, la principale tare des universités pendant l’IIIe Reich avait été une spécialisation excessive, creusant un gouffre entre les étudiants comme élite, et le reste de la société allemande. L'éducation universitaire aurait donc transmis la compétence technique tout en négligeant la responsabilité sociale de l'élite vis-à-vis de la société.8 Les autorités américaines firent alors remplir aux intellectuels allemands des questionnaires restés fameux, qui consistaient en des feuilles de papiers contenant plus de cent demandes visant tous les aspects de la vie privée et sondant les tendances autoritaires des suspects. Les questions contenaient souvent des erreurs et leur message ultramoraliste était souvent difficile à comprendre pour des Allemands.9 Peu à peu les mots « nazisme » et « fascisme », subissant un glissement sémantique, se sont métamorphosés en simples synonymes du mal et ont été utilisés à tort et à travers. La « reductio ad hitlerum » est alors devenue un paradigme des sciences sociales et de l'éducation des masses. Tout intellectuel osant s'écarter du conformisme en quelque domaine que ce fût risquait de voir ses chances de promotion étouffées. C'est donc dans ces conditions que les procédures de l'engineering social et l'apprentissage de l'autocensure sont peu à peu devenues la règle générale dans l'intelligentsia européenne. Bien que le fascisme, au début du troisième millénaire, ne représente plus aucune menace pour les démocraties occidentales, tout examen critique, aussi modeste soit-il, de la vulgate égalitaire, du multiculturalisme et de l'historiographie dominante risque d'être pointé comme « fasciste » ou « xénophobe ». Plus que jamais la diabolisation de l'adversaire intellectuel est la pratique courante du monde des lettres et des médias. L'Allemagne forme certes un cas à part, dans la mesure où sa perception des Etats-Unis dépend toujours de celle que les Allemands sont obligés d'avoir d'eux-mêmes, comme des enfants auto-flagellants toujours à l'écoute de leurs maîtres d'outre-Atlantique. Jour après jour l'Allemagne doit faire la preuve au monde entier qu'elle accomplit sa tâche démocratique mieux que son précepteur américain. Elle est tenue d'être le disciple servile du maître, étant donné que la « transformation de l'esprit allemand (fut) la tâche principale du régime militaire ».10 Voilà pourquoi, si l'on veut étudier la généalogie du politiquement correct tel que nous le connaissons, on ne peut pas éviter d'étudier le cas de l'Allemagne traumatisée. Et cela d'autant plus qu'en raison de son passé qui ne passe pas, l'Allemagne applique rigoureusement ses lois contre les intellectuels mal-pensants. En outre, l'Allemagne exige de ses fonctionnaires, conformément à l'article 33, paragraphe 5 de sa Loi fondamentale, l'obéissance à la constitution, et non leur loyauté envers le peuple dont ils sont issus.11 Quant aux services de défense de la Constitution (Verfassungschutz), dont la tâche est la surveillance du respect de la Loi fondamentale, ils incluent dans leur mission de veiller à la pureté du langage politiquement correct : « Les agences pour la protection de la constitution sont au fond des services secrets internes dont le nombre s'élève à dix-sept (une au niveau de la fédération et seize autres pour chaque Land fédéral constitutif) et qui sont qualifiées pour détecter l'ennemi intérieur de l'Etat ».12 Puisque toutes les formes d'attachement à la nation sont mal vues en Allemagne en raison de leur caractère jugé potentiellement non-démocratique et néonazi, le seul patriotisme permis aux Allemands est le « patriotisme constitutionnel ». La nouvelle religion du politiquement correct est peu à peu devenue obligatoire dans toute l'Union européenne, et elle sous-entend la croyance dans l'Etat de droit et dans la « société ouverte ». Sous couvert de tolérance et de respect de la société civile, on pourrait imaginer qu'un jour un individu soit déclaré hérétique du fait, par exemple, d'exprimer des doutes sur la démocratie parlementaire. De plus, en raison de l'afflux des masses d'immigrés non-européens, la loi constitutionnelle est également sujette à des changements sémantiques. Le constitutionnalisme allemand est devenu « une religion civile » dans laquelle « le multiculturalisme est en train de remplacer le peuple allemand par le pays imaginaire de la Loi fondamentale ».13 Par le biais de cette nouvelle religion civique l'Allemagne, comme d'autres pays européens, s'est maintenant transformée en une théocratie séculière.

Sans cette brève excursion dans le climat du combat intellectuel d'après-guerre il est impossible de comprendre la signification actuelle du politiquement correct. La récente promulgation de la nouvelle législation européenne instituant un « crime de haine » est ainsi appelée à se substituer aux législations nationales pour devenir automatiquement la loi unique de tous les Etats de l'Union européenne. Rétrospectivement, cette loi supranationale pourrait être inspirée du code criminel de la défunte Union soviétique ou de celui l'ex-Yougoslavie communiste. Ainsi, le Code criminel yougoslave de 1974 comportait une disposition, dans son article 133, portant sur « la propagande hostile ». Exprimée en typique langue de bois, une telle abstraction sémantique pouvait s'appliquer à tout dissident - qu'il se soit livré à des actes de violence physique contre l'Etat communiste ou qu'il ait simplement proféré une plaisanterie contre le système. D'après le même code, un citoyen croate, par exemple, se déclarant tel en public au lieu de se dire yougoslave pouvait se voir inculper d'« incitation à la haine interethnique », ou bien comme « personne tenant des propos oustachis », ce qui était passible de quatre ans de prison.14 Il faudra attendre 1990 pour que cette loi soit abrogée en Croatie. A l'heure actuelle le Royaume-Uni témoigne du degré le plus élevé de liberté d'expression en Europe, l'Allemagne du plus bas. Le Parlement britannique a rejeté à plusieurs reprises la proposition de loi sur « le crime de haine », suggérée par divers groupes de pression - ce qui n'empêche pas les juges britanniques d'hésiter à prononcer de lourdes peines contre les résidents d'origine non-européenne par crainte d'être accusés eux-mêmes de cultiver un « préjugé racial ». Ainsi, indépendamment de l'absence de censure légale en Grande-Bretagne, un certain degré d'autocensure existe déjà. Depuis 1994, l'Allemagne, le Canada et l'Australie ont renforcé leur législation contre les mal-pensants. En Allemagne, un néologisme bizarre (Volkshetze : « incitation aux ressentiments populaires »), relevant de l'article 130 du Code pénal, permet d'incriminer tout intellectuel ou journaliste s'écartant de la vulgate officielle. Vu le caractère général de ces dispositions, il devient facile de mettre n'importe quel journaliste ou écrivain en mauvaise posture, d'autant plus qu'en Allemagne il existe une longue tradition légale tendanciellement liberticide d'après laquelle tout ce qui n'est pas explicitement permis est interdit. Quant à la France, elle comporte un arsenal légal analogue, notamment depuis l'entrée en vigueur de la loi Fabius-Gayssot adoptée le 14 juillet 1990 - sur proposition d'un député communiste, mais renforcée à l'initiative du député de droite Pierre Lellouche en décembre 2002. Cette situation se généralise dans l'Union européenne,15 en comparaison de quoi, paradoxalement, les pays postcommunistes connaissent encore un plus grand degré de liberté d'expression, même si en raison de la pression croissante de Bruxelles et de Washington cela est en train de changer. En Europe communiste, la censure de la pensée avait un gros avantage. La répression intellectuelle y était tellement vulgaire que sa violente transparence donnait à ses victimes l'aura des martyrs. La fameuse langue de bois utilisée par les communiste débordait d'adjectifs haineux au point que tout citoyen pouvait vite se rendre compte da la nature mensongère du communisme. En outre, comme la Guerre froide, vers la fin des années 1940, avait commencé à envenimer les rapports entre l'Est communiste et l'Ouest capitaliste, les élites occidentales se crurent moralement obligées de venir en aide aux dissidents est-européens, et cela moins en raison de leurs vues anticommunistes que pour prouver que le système libéral était plus tolérant que le communisme. Nul n'en sut profiter mieux que les architectes libéraux du langage politiquement correct. En cachant leurs paroles démagogiques derrière les vocables de « démocratie », « tolérance » et « droits de l'homme » ils ont réussi à neutraliser sans aucune trace de sang tout opposant sérieux. Le langage médiatique a été également sujet à des règles hygiéniques imposées par les nouveaux princes de vertus. L'emploi châtré des structures verbales qui se sont propagés à travers toute l'Europe reflète des avatars puritains sécularisés si typiques autrefois des autorités militaires américaines dans l'Allemagne d'après-guerre. De nouveaux signifiants se font incessamment jour pour permettre à la classe dirigeante, ayant peur pour ses sinécures, de cacher ainsi ses propres signifiés privés. A-t-on jamais tant parlé en Amérique et en Europe de tolérance, a-t-on jamais tant prêché la convivialité raciale et l'égalitarisme de tous bords alors que le système entier déborde de toutes formes de violences souterraines et de haines mutuelles? L'idéologie antifasciste doit rester un argument de légitimité pour tout l'Occident. Elle présuppose que même s'il n'y a plus aucun danger fasciste, son simulacre doit toujours être maintenu et brandi devant les masses. Partout en Europe, depuis la fin de la Guerre froide, l'arène sociale doit fonctionner comme un prolongement du marché libre. L'efficacité économique est vue comme critère unique d'interaction sociale. Par conséquent, les individus qui se montrent critiques au sujet des mythes fondateurs du marché libre ou de l'historiographie officielle sont automatiquement perçus comme ennemis du système. Et à l'instar du communisme, la vérité politique en Occident risque d'être davantage établie par le code pénal que par la discussion académique. De plus, aux yeux de nouveaux inquisiteurs, l'hérétique intellectuel doit être surveillé - non seulement sur la base de ce qu'il dit ou écrit, mais sur celle des personnes qu'il rencontre. La « culpabilité par association » entrave gravement toute carrière, et ruine souvent la vie du diplomate ou du politicien. N'importe quelle idée qui vise à examiner d'une manière critique les bases de l'égalitarisme, de la démocratie et du multiculturalisme, devient suspecte. Même les formes les plus douces de conservatisme sont graduellement poussées dans la catégorie « de l'extrémisme de droite ». Et ce qualificatif est assez fort pour fermer la bouche même aux intellectuels qui font partie du système et qui ont eux-mêmes participé dans la passé à la police de la pensée. « Il y a une forme de political correctness typiquement européenne qui consiste à voir des fascistes partout » écrit ainsi Alain Finkielkraut.16 Le spectre d'un scénario catastrophique doit faire taire toutes les voix divergentes. Si le « fascisme » est décrété légalement comme le mal absolu, toutes les aberrations du libéralisme sont automatiquement regardées comme un moindre mal. Le système libéral moderne de provenance américaine est censé fonctionner à perpétuité, comme une perpetuum mobile.17 L'Occident dans son ensemble, et paradoxalement l'Amérique elle-même, sont devenus des victimes de leur culpabilité collective, qui a comme origine non tant le terrorisme intellectuel que l'autocensure individuelle. Les anciens sympathisants communistes et les intellectuels marxistes continuent à exercer l'hégémonie culturelle dans les réseaux de fabrication de l'opinion publique. Certes, ils ont abandonné l'essentiel de la scolastique freudo-marxiste, mais le multiculturalisme et le globalisme servent maintenant d'ersatz à leurs idées d'antan. La seule différence avec la veille est que le système libéralo-américain est beaucoup plus opérationnel puisqu'il ne détruit pas le corps, mais capture l'âme et cela d'une façon beaucoup plus efficace que le communisme. Tandis que le citoyen américain ou européen moyen doit supporter quotidiennement un déluge de slogans sur l'antiracisme et le multiculturalisme, qui ont acquis des proportions quasi-religieuses en Europe, les anciens intellectuels de tendance philo-communiste jadis adonnés au maoïsme, trotskisme, titisme, restent toujours bien ancrés dans les médias, l'éducation et la politique. L'Amérique et l'Europe s'y distinguent à peine. Elles fonctionnent d'une manière symbiotique et mimétique, chacune essayant de montrer à l'autre qu'elle n'accuse aucun retard dans la mise en place de la rhétorique et de la praxis politiquement correctes. Autre ironie de l'histoire : pendant que l'Europe et l'Amérique s'éloignent chronologiquement de l'époque du fascisme et du national-socialisme, leur discours public évolue de plus en plus vers une thématique antifasciste. Contrairement à la croyance répandue, le politiquement correct, en tant que base idéologique d'une terreur d'Etat, n'est pas seulement une arme aux mains d'une poignée de gangsters, comme nous l'avons vu en ex-Union Soviétique. La peur civile, la paresse intellectuelle créent un climat idéal pour la perte de liberté. Sous l'influence conjuguée du puritanisme américain et du multiculturalisme de tendance postmarxiste européen, le politiquement correct est devenu une croyance universelle. L'apathie sociale croissante et l'autocensure galopante ne nous annoncent pas de nouveaux lendemains qui chantent.

Notes


  1. Force est de constater que les Européens de l'Est semblent avoir fort bien appris à désigner les pièges de l'homo sovieticus. Voir James Gregor, Metascience and Politics: An Inquiry into the Conceptual Language of Political Science (New Brunswick: Transaction Publishers, 2004), pp. 282- 292, où se trouvent décrites les "locutions normatives" du langage proto-totalitaire 

  2. Arnold Gehlen, Moral und Hypermoral (Vittorio Klostermann GmbH, Francfort 2004, p. 78). 

  3. Cf. Paul Gottfried, The Strange Death of Marxism, University of Missouri Press, Columbia-Londres, 2005, p. 108. Voir également Frances Stonor Saunders, Qui mène la danse? La CIA et la guerre froide culturelle, Denoël 2003. 

  4. Theodor Adorno (with Else Frenkel-Brunswick, Daniel J. Levinson, R. N. Sanford), The Authoritarian Personality (Harper and Brothers, New York 1950, pp. 780-820). 

  5. Le langage déconstructiviste promu par l'École de Francfort a récemment été critiqué par Kevin McDonald qui observe dans les analyses d'Adorno une diffamation de la culture européenne, tout « ethnocentrisme européen étant interprété comme un signe de pathologie ». Kevin MacDonald, The Culture of Critique: An Evolutionary Analysis of Jewish Involvement in Twentieth Century Intellectual and Political Movement (Praeger Publications, Westport CT, 1998, repris par Authorhouse, Bloomington 2002, p. 193). 

  6. Caspar Schrenck-Notzing, Characterwäsche (Seewald Verlag, Stuttgart 1965, p. 120). 

  7. La dénazification (Entnazifizierung) avait été expressément décidée lors de la conférence de Yalta (février 1945). Elle fut menée selon un critère de classe en zone soviétique, rapidement confiée aux soins de juges allemands en zones française et britannique, mais directement exercée par des agents américains dans la zone relevant de leur responsabilité, de manière tellement étendue qu'elle finit par s'étouffer elle-même. 

  8. Manfred Heinemann, Ulrich Schneider, Hochschuloffiziere und Wiederaufbau des Hochschulwesens in Westdeutschland,1945 â€" 1952 (Bildung und Wissenschaft, Bonn 1990), pp. 2-3 and passim. Voir Die Entnazifizierung in Baden 1945-1949 (W. Kohlhammer Verlag, Stuttgart 1991) concernant les épurations des enseignants allemands par les autorités françaises dans la région allemande de Baden. Entre 35 % et 50 % des enseignants dans la partie de l'Allemagne contrôlée par les Américains ont été suspendus d'enseignement. Le pourcentage des enseignants épurés par les autorités françaises s'élevait à 12-15 %. Voir Hermannâ€"Josef Rupieper, Die Wurzeln der westdeutschen Nachkriegesdemokratie (Westdeutscher Verlag, 1992), p. 137. 

  9. Le romancier et ancien militant national-révolutionnaire Ernst von Salomon décrit cela dans son roman satirique Der Fragebogen, et montre comment les « nouveaux pédagogues » américains arrachaient parfois des confessions à leurs prisonniers avant de les bannir ou même de les expédier à l'échafaud. 

  10. Caspar Schrenck-Notzing, op. cit., p 140. 

  11. Cf. Josef Schüsslburner, Demokratie-Sonderweg Bundesrepublik, Lindenblatt Media Verlag, Künzell, 2004, p. 631. 

  12. Ibid., p. 233. 

  13. Ibid., p. 591. 

  14. Tomislav Sunic, Titoism and Dissidence, Peter Lang, Francfort, New York, 1995. 

  15. Ainsi, sur proposition initiale du conseiller spécial du gouvernement britannique Omar Faruk, l'Union européenne s'apprête-t-elle à éditer un lexique politiquement correct destiné aux dirigeants officiels européens impliquant de distinguer soigneusement entre islam et islamisme, et de ne jamais parler, par exemple, de « terrorisme islamique » (source: www.islamonline.net/English/News/2006-04/11/article02.shtml

  16. Alain Finkielkraut, « Résister au discours de la dénonciation » dans Journal du Sida, avril 1995. Voir « What sort of Frenchmen are they? », entrevue avec Alain Finkielkraut in Haaretz, le 18 novembre 2005. A. Finkielkraut fut interpellé suite à cet entretien par le MRAP, le 24 novembre, pour ses propos prétendument anti-arabes. Le 25 dans Le Monde, il présente ses excuses pour les propos en question. 

  17. Alain de Benoist, Schöne vernetzte Welt, « Die Methoden der Neuen Inquisition » (Hohenrain Verlag, Tübingen 2001, pp. 190-205).